TW : mention d'abus sexuel
Il ne m'a pas fallu plus d'une minute de réflexion pour conclure que j'étais en train de vivre le pire moment de ma vie entière.
Pour vous décrire la situation : cela fait cinq heures que je suis ligotée, le corps serré par une corde rugueuse, et enfermée dans la cale d'un navire de pirates. Moi qui n'ai jamais pris la mer, je me retrouve ballottée dans tous les sens, du fait des roulis du bateau, et bien que mon dernier repas date d'il y a au moins quarante-huit heures, je me sens prête à tout régurgiter.
J'ai beau tenter désespérément de stabiliser ma respiration, l'obscurité régnant dans la cale m'angoisse encore davantage. Tout comme les intentions de ceux qui m'ont jetée dedans.
J'essaie encore une fois d'organiser mes pensées, mais cela m'est bien trop dur. Comment mettre de l'ordre dans une situation aussi imcompréhensible que la mienne ?
Mes ravisseurs, des pirates sans scrupules et à l'odeur douteuse, m'avaient fait traverser l'entièreté du château, riant à qui mieux mieux et raflant tableaux, bijoux et portraits sur leur passage. Et c'est là que je les avais vus.
Les sirs, les dames, les gardes, chevaliers, servantes, pages et troubadours. Tous, plongés dans un profond sommeil. J'avais dû contempler l'apathie de ces visages si connus, qui m'avaient entourée toute mon enfance. Les voir sommeiller paisiblement, alors que leur château était en train de s'écrouler, avait été déchirant.
La vision la plus douloureuse fut celle du roi et de la reine, affalés sur leurs trônes, dormant comme leurs sujets. Eux que j'avais toujours vus si forts, si puissants, étaient désormais aussi vulnérables que des poupées de chiffon.
Une petite lueur d'espoir éclairait néanmoins le tableau : Aurore était vivante. Certes victime d'un horrible maléfice, jeté par une sorcière sauvage et cruelle, mais vivante. Et j'en étais plus qu'heureuse.
Heureuse oui, mais pas optimiste. En quelques heures, j'avais dû affronter le fait que mon amie d'enfance, mes souverains et l'entièreté de leurs sujets étaient pris dans un sommeil maléfique, qui ne sera brisé uniquement lorsqu'un véritable baiser d'amour sera donné à la principale victime de la malédiction. Autrement dit, Aurore. Bien que je me sois toujours préparée, aussi loin que je me souvienne, à cette éventualité, elle reste dure à avaler. Et une autre évidence, encore plus bouleversante, s'impose à moi : j'ai aussi été victime de ce sortilège. Et vraisemblablement, durant très longtemps. Très très longtemps.
D'après l'état du château, il avait été laissé à l'abandon pour au moins dix ans... Voire peut-être vingt... Vingt-cinq...
"Cent ans".
Une ombre vient de se profiler dans l'encadrement de l'ouverture de ma cale. Une forte odeur d'alcool remonte jusqu'à mes narines, tandis que l'homme s'avance lentement vers moi. Malgré le manque de lumière, je remarque sa barbe mal rasée, ses cheveux longs et emmêlés et sa peau tannée par le soleil.
Il se penche au-dessus de moi, la bouche tordue en un sourire qui dévoile ses dents jaunes. Il lance : "cent ans que des légendes courent sur le château perdu et ses occupants endormis. Et, surtout, que se racontent un tas de choses sur la belle princesse qui y reposerait, victime du pire des sortilèges... On lui a même trouvé un petit surnom : la Belle au bois dormant...".
Sa main noueuse m'agrippe le menton, et il m'oblige à le regarder dans les yeux : "ça fait des années que moi et mes hommes on essaye de te retrouver, ma petite. Et on dirait bien qu'on a réussi. Nous et notre bon vieux vaisseau Le Fier, dont je suis le bienheureux capitaine. Pas mal, comme nom hein ?". Il éclate d'un rire gras.
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Jusqu'à ce que la bougie s'éteigne
FantasyUn conte, c'est du merveilleux. Mais aussi du cauchemar. Un monde cruel, sans pitié. Tout le monde n'obtiendra pas sa fin heureuse. Princesses emprisonnées, sorcières rusées, princes métamorphosés... Nous connaissons par coeur les histoires de nos h...