Pièce N°1: La Morte dansant Sous la Pluie

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Les notes du piano sonnaient encore dans ma tête lorsque j'observai avec attention les détails de son visage grossier. Ses cheveux grisonnants me donnaient la nausée, ils l'avaient toujours fait... Ils donnaient l'impression de ne jamais être lavés et de pendre lamentablement chaque jour.

Ses yeux étaient surpris, ses yeux étaient vides et flasques comme son cou graisseux et ses joues de chien, ses yeux étaient d'un affreux marron simple et noir, ses yeux étaient renfoncés dans ses orbites à la manière d'un étrange insecte, ses yeux m'énervaient. Ils l'avaient toujours fait...

Sa bouche était quant à elle tordue dans un cri qu'il n'avait jamais prononcé. Un cri muet d'appel au secours. Des cris que personne n'aurait jamais entendu.

Un peu comme les miens quand je le suppliais d'arrêter de me faire jouer cette sarabande ridicule.

Je me détachai de la contemplation de sa tête pour fixer dédaigneusement le clavier sur lequel il jouait il y a quelques secondes. De vieilles tâches rougeâtres plus ou moins récentes parsemaient les touches noires et blanches du piano.

Les souvenirs affluaient dans mon crâne à la manière du sang que filtre le cœur.

" Elena ! Cesse ces fausses notes, je ne te l'ai pas appris comme ça enfin !"

Mes dents se mirent à grincer.

" Elena ! Joue-moi encore cette vieille sarabande pour mes vieux jours... Et ne te trompe pas !"

Mes poings se serrèrent.

" Elena ! Arrête-moi ça tout de suite... Ce n'est pas bon, tes doigts ne sont pas correctement placés..."

Son souffle pouvait presque résonner à mes oreilles...

" Elena ? Qu'est-ce que tu fais ? Elena ? - Pourquoi as-tu un couteau ? ELE-"

Je me tournai vers sa tête, souriante. Un vent de liberté parcourait mes veines. Elle me faisait face, posée sur le couvercle du piano, une grimace horrifiée gravée à jamais sur ses traits grossiers. Une dernière fois, je regardai sa tête avant de rire bêtement, un rire incontrôlable jaillit aussitôt de ma bouche.

Un rire tordu et hystérique qui faisait vibrer mes cordes vocales au même titre que mon piano dans une synchronisation terrifiante. Mes doigts couraient sur le piano à une vitesse effrayante, mes yeux ne quittant pas les siens, ses yeux globuleux et vides. Ils me faisaient rire maintenant, j'étais libre et j'avais maintenant le choix...

Je me levai et je fis quelques pas dans la pièce le poids sur mes épaules tombant soudainement, je pouvais redresser le dos et gambader dans cette maison ridiculement grande. Je montai les escaliers en courant et j'ouvris en grand les rideaux, illuminant pour la première fois ma chambre à l'odeur de renfermé et aux tonalités toujours sombres et sinistres...

Il m'avait enfermée dans cette horrible maison durant des années... Me cachant du monde, me cachant en prétendant que j'étais "morte" et que c'était dangereux de me laisser sortir dans le monde extérieur, car on pourrait me reconnaître.

Et il m'avait frappée, battue, coupée, blessée, forcée, enfermée... Cet homme m'avait volé ma vie et je pouvais maintenant la reprendre.

Un sourire se dessina sur mes lèvres et je jetai un coup d'œil à mon reflet dans le miroir. Mes longs cheveux noirs et raides tombaient en cascade dans mon dos frêle et fragile, mes pommettes creusées et mon teint plus pâle que la mort me firent reculer. J'avais des orbites creuses et des yeux d'un vert étincelant.

Je m'avançai vers le miroir et caressai mon reflet avec consternation :

- Qu'est-ce qu'il a fait de moi ?... Je ne ressemblais pas à ça quand j'étais à l'orphelinat...

SUITE N°33Où les histoires vivent. Découvrez maintenant