Appel au Armes

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L'air était lourd ce matin-là. Le ciel, d'un gris étouffant, semblait refléter la tension palpable qui régnait dans la petite ville. Jean se tenait devant la fenêtre, scrutant la rue pavée en contrebas, où quelques passants pressés se dépêchaient de rentrer chez eux. Il savait que quelque chose se préparait. Depuis des mois, les rumeurs d'une guerre inévitable circulaient. Mais ce matin, tout semblait différent, comme si le monde entier retenait son souffle.

La radio grésillait sur la table du salon, émettant des nouvelles inquiétantes en boucle. Les Allemands avaient franchi les frontières. C'était réel cette fois. Jean se rappelait des récits de son père sur la Grande Guerre, de ces histoires terrifiantes de tranchées, de boue et de sang. Mais il avait toujours espéré que cela appartiendrait au passé, à une époque que sa génération n'aurait jamais à revivre. Pourtant, la guerre frappait à leur porte à nouveau, et il savait qu'il n'avait pas d'autre choix que de répondre à l'appel.

Son père, assis dans son fauteuil à côté de la radio, gardait le silence. Ses yeux, autrefois si pleins de vie, étaient fixés sur le vide, comme s'il revivait chaque instant des horreurs qu'il avait vues. Jean n'avait jamais osé lui poser trop de questions sur cette époque. Il savait que la guerre avait laissé des cicatrices invisibles. Mais aujourd'hui, il se demandait si son père avait quelque chose à lui dire, un dernier conseil avant que lui-même ne parte pour le front.

— Papa, murmura Jean, brisant finalement le silence. Est-ce que tu crois qu'on a une chance de gagner ?

Son père tourna lentement la tête vers lui, ses traits marqués par des années de souffrance silencieuse. Il resta un moment à le regarder, comme s'il cherchait les bons mots, ceux qui ne trahiraient ni espoir ni désillusion.

— La guerre n'a pas de gagnants, Jean, dit-il finalement. Seulement des survivants. Ce que tu dois faire, c'est t'accrocher. A toi-même, à ta famille. Ce sont les seules choses qui comptent, au final.

Jean acquiesça lentement, sans vraiment comprendre la profondeur des paroles de son père. Comment le pourrait-il, alors qu'il n'avait encore jamais vu l'ennemi, jamais senti le souffle glacé de la mort si proche de lui ? Pourtant, quelque chose en lui changea à cet instant. Une peur sourde, celle qui l'avait tenu éveillé des nuits entières, fit place à une étrange détermination. Il devait protéger ceux qu'il aimait, coûte que coûte.

Le début de l'enfer

Quelques jours plus tard, Jean se trouvait à la gare de la ville, vêtu de l'uniforme kaki de l'armée française. Autour de lui, des centaines de jeunes hommes attendaient en silence, certains tremblant d'excitation, d'autres de peur. Le train vers le front n'était pas encore arrivé, mais il pouvait déjà sentir l'angoisse se propager comme une épidémie parmi eux. Certains plaisantaient, essayant de détendre l'atmosphère, mais leurs rires étaient nerveux, presque hystériques.

Jean serra dans sa main la lettre que sa mère lui avait donnée avant son départ. Elle n'avait pas pleuré, contrairement à beaucoup de femmes présentes ce jour-là. Elle avait simplement glissé la lettre dans sa poche et lui avait dit de ne pas l'ouvrir avant d'arriver à destination. Il n'avait pas encore osé la lire, de peur de ce qu'elle pourrait contenir.

Le sifflet du train retentit, brisant le silence comme une détonation. Les soldats commencèrent à monter, certains jetant un dernier regard en arrière, vers leurs familles, leurs amis, leur vie d'avant. Jean fit de même, mais il n'y avait plus rien à voir. Sa ville, son foyer, tout cela semblait déjà appartenir à un autre monde.

Le trajet vers le front fut interminable. Les hommes parlaient peu, chacun enfermé dans ses pensées. Jean observait le paysage défiler par la fenêtre, les champs et les forêts s'effaçant peu à peu, remplacés par des villages désertés, des routes éventrées. La guerre n'avait pas encore atteint cette région, mais ses signes étaient déjà là, comme une ombre grandissante qui engloutissait tout sur son passage.

Le premier assaut

L'arrivée au front fut brutale. A peine descendu du train, Jean fut immédiatement plongé dans le chaos. Les bombardements résonnaient au loin, et l'odeur âcre de la fumée et de la poudre envahissait ses narines. Il n'eut pas le temps de s'acclimater. Son unité fut envoyée en première ligne dès leur arrivée. Les Allemands étaient déjà en train de pousser, avançant à une vitesse terrifiante.

Jean et ses camarades furent rapidement envoyés dans des tranchées mal construites, à peine protégées des tirs ennemis. Le sol était boueux, glissant, et l'air humide rendait la respiration difficile. Chaque explosion faisait trembler la terre sous leurs pieds, et Jean pouvait sentir la peur envahir ses entrailles.

La première attaque fut un véritable cauchemar. Les tirs croisés de mitrailleuses, les explosions d'obus, les cris des blessés… Tout se mélangeait en une cacophonie infernale. Jean se tenait accroupi dans la tranchée, son fusil serré contre lui, incapable de bouger. Il voyait ses camarades tomber autour de lui, certains grièvement blessés, d'autres morts sur le coup.

Tout ce qu'il avait appris lors de son entraînement s'était effacé de son esprit. Son corps était figé par la peur, par l'instinct de survie le plus primaire. Il devait survivre. Mais comment pouvait-il lutter contre une telle violence, un tel déluge de feu et de métal ?

Au bout de ce qui sembla être une éternité, les tirs cessèrent. Les Allemands avaient battu en retraite, pour l'instant. Jean se redressa lentement, ses jambes tremblantes sous le choc. Autour de lui, la tranchée était jonchée de corps, certains de ses camarades étaient immobiles, d'autres gémissaient, appelant à l'aide.

C'est à cet instant que Jean réalisa à quel point la guerre était différente de tout ce qu'il avait pu imaginer. Il n'y avait pas de gloire ici, seulement de la douleur, du sang et des larmes.

Le poids des souvenirs

Les jours qui suivirent furent tout aussi éprouvants. Les combats s'enchaînaient, toujours plus intenses, toujours plus destructeurs. Jean avait vu trop de ses compagnons tomber, trop de vies brisées en un instant. Il avait appris à ne plus penser, à se concentrer uniquement sur sa survie, minute après minute, heure après heure.

Mais la nuit, quand le silence retombait sur le champ de bataille, les souvenirs revenaient. Les visages de ses camarades morts le hantaient, leurs cris résonnant encore dans ses oreilles. Il se demandait combien de temps il pourrait encore tenir, combien de jours ou de semaines avant que son tour ne vienne.

La lettre de sa mère restait pliée dans la poche de sa veste, intacte. Il n'avait toujours pas trouvé la force de l'ouvrir. Peut-être avait-il peur de ce qu'elle contenait, de ce qu'il pourrait perdre en lisant ces mots, en se souvenant de ce qui l'attendait chez lui.

Mais un soir, après un assaut particulièrement violent, il se décida. Il prit la lettre et, d'une main tremblante, déchira l'enveloppe. À l'intérieur, une simple feuille de papier, remplie de l'écriture familière de sa mère.

« Mon cher Jean,
Si tu lis cette lettre, c'est que tu es déjà loin de nous, quelque part sur le front. Je n'ose imaginer ce que tu traverses, mais sache que je pense à toi chaque jour, chaque heure. Ton père et moi sommes fiers de toi, de ton courage, même si je sais à quel point tu dois être effrayé. Reste fort, mon fils. Quoi qu'il arrive, souviens-toi que nous t'attendons ici. Garde espoir, car c'est tout ce que nous avons. Je t'aime. »

Les larmes montèrent aux yeux de Jean tandis qu'il repliait la lettre. Il la serra contre son cœur, fermant les yeux un instant. Peut-être que, comme elle le disait, il restait encore un peu d'espoir. Mais ici, dans cette tranchée, entouré de mort et de désespoir, il était difficile de s'y accrocher.

Le Front Où les histoires vivent. Découvrez maintenant