Morgan déteste les vestiaires. Il a trop entendu de "hé, le pédé, tu me mates pas" pour y être à l'aise.
Il a développé une méthode stricte : il essaye de se changer en premier ou en dernier, dans le coin, regarde le mur, seulement le mur, avec une application de forçat.
Et pourtant, ce mardi-là, il enfreint ses propres règles. Il posait seulement un regard inquiet sur les traits assombris de Gabriel, qui ôtait son haut, quand il remarqua un détail inhabituel. Il finit de lacer ses baskets et s'approche.
— Ton scapulaire ? murmure-t-il.
Son ami — pouvait-il encore le considérer ainsi ? — ne répond pas.
Plus d'une semaine de silence.
Morgan lui avait laissé du temps, il en avait besoin. Il avait respecté son mutisme. Mais il fallait crever l'abcès.
Le cours fini, Gabriel quitte l'établissement pour aller manger. Morgan le rattrape, attend d'être assez loin pour ne pas croiser de visage familier.— Gab', on doit en parler.
— Je ne veux pas parler.
— Pourquoi tu ne portes plus ton scapulaire ?
— Ma religion ne te regarde pas.
— Mais comment tu te sens, oui. Écoute, je suis désolé. Je te l'ai déjà dit, mais c'est vrai, je m'excuse. J'ai profité de toi. Je ne pourrais jamais te dire combien je m'en veux. Et tu n'as pas à me pardonner.
— Morgan, tu n'as rien fait de mal. Ne t'excuse pas.
— Je n'aurais pas dû-
— Ferme-la. Ne t'excuse pas. Tu m'obliges à être la personne mature, à te dire que c'est pas de ta faute. Je veux croire que c'est de ta faute, je veux t'en vouloir, je veux te haïr. Je me sens mieux quand je te déteste. Laisse-moi ce luxe, ne m'oblige pas à te rappeler, à me rappeler que c'est faux.
— Je savais que tu ne voulais pas-
— Tais-toi.
Gabriel soupire.
— Si je n'étais pas en colère, je te rappellerais que tu avais beaucoup plus bu que moi, que tu t'es assuré que j'étais consentant un nombre incalculable de fois-
— Je savais que ça te flinguerait.
— J'en avais envie. Comment je l'ai vécu le lendemain, c'est mon problème. Eh merde, je veux de nouveau crever. Parler, quelle idée de con.
— Et la confession, le pardon inconditionnel de Dieu, ça ne te réconforte pas ?
— T'es juif, d'où tu me parles de confession ?
— Oh, moi je m'en fous, je ne crois pas qu'un être tout-puissant en ait quoique ce soit à foutre de ma vie sexuelle. C'est pour toi que je dis ça.
— Le problème, c'est que moi, j'arrive pas à me le pardonner. Je me sens sale, j'ai honte. Et en plus je m'en veux de "manquer de confiance en Dieu" et d'avoir des scrupules. Je m'en veux de m'être cru plus fort que je l'étais. Je m'en veux d'avoir joué avec le feu pendant des mois.
Au fond, tu serais pas un mec bien, je m'en voudrais moins. Tu ne m'aurais pas demandé vingt fois si j'étais sûr, si je le voulais, tu ne m'aurais pas dit que tu t'arrêterais à n'importe quel moment si je le demandais, et puis merde, t'aurais pas bu, j'aurais pu me convaincre que c'était de ta faute.Morgan voudrait rappeler le lien entre fantasme de la soumission, culture du viol et culture de la pureté, mais ce n'était pas le moment de parler de sociologie.
— C'est de ma faute. Déteste-moi à l'envi. Je sais que désir et consentement, c'est pas pareil. Je n'aurais même pas dû te proposer quoique ce soit.
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Scapulaire
Romance« Tu ne peux pas penser que tu es une abomination, tu ne peux pas te détester, tu es trop incroyable pour ça. Mais il n'y a pas que toi que tu blesses avec ces conneries. [...] Tu ne peux pas m'accepter comme je suis tant que tu ne t'acceptes pas to...