Ma sœur et les Waverley

Chapitre 16

Il ne m'avait pas fallu longtemps pour renouer avec ma routine monotone en ces sinistres murs. Les cours donnés aux Eastwood me permettaient de côtoyer leur commère de mère, et elle me paraissait être le moyen le plus judicieux de dénicher quelque chose susceptible de s'avérer utile contre le mari de ma sœur. Les avances de William avaient éveillé en moi des doutes quant à sa loyauté, et j'espérais secrètement qu'il avait des liaisons qui traînaient çà et là en ville. Cependant, vu la façon dont Rose me parlait de son mari quand elle était dans ses bonnes grâces, je craignis que même une infidélité ne suffise pas à la pousser au divorce.

Bien que particulièrement loquaces, Gloria Eastwood et ses amies épuisèrent rapidement leur répertoire d'anecdotes sur les Waverley : j'appris que le mari d'Eleanor fut un officier haut gradé qui avait été tué lors du débarquement en Normandie et qu'elle n'avait jamais cherché à se remarier. De son côté, Charles avait essayé de lancer plusieurs autres petites affaires, toutes infructueuses, ne faisant qu'accroître ses dettes. Quant à William, contrairement à ce qu'il avait affirmé à ma sœur, il avait effectivement eu quelques liaisons avant de convoler en justes noces, mais ces frasques appartenaient, selon ces dames, au passé.

J'avais tenté de débusquer un peu plus d'informations, prétendant rêvasser sur cette grande famille et en posant des questions d'un ton faussement ingénu. Je passais pour une admiratrice transie des Waverley, et je n'aurais pas été surprise que l'une de ces ladys pense que je fantasmais secrètement sur le mari de ma sœur. Mais si cela pouvait m'aider à obtenir ce que je voulais, grand bien leur en fasse. J'étais parvenue à récolter le nom de quelques anciennes de ses amantes désormais mariées, comme une Nancy Cavender, une Wilma Winter, mais aussi Fiona Warwick avec qui j'avais déjà pu échanger lors de la dégustation des primeurs, me faisant mieux comprendre l'aversion du mari de celle-ci pour William.

Après deux semaines entières à baratiner et flatter Gloria ainsi que sa famille, j'osais espérer être invitée à ses prochaines soirées mondaines et pouvoir m'entretenir également plus en détail avec l'une de ces anciennes conquêtes.

Du côté des Waverley, je n'avais recroisé Alphonse qu'en coup de vent, tandis qu'Alice se fermait complètement à chaque fois que je parlais de l'aîné. Cet énergumène avait certainement dû traumatiser la petite, s'il lui réservait le même mépris qu'au cadet. J'essayai également toujours de me faire apprécier tant bien que mal d'Eleanor, mais l'entreprise était vaine : peu importe ce que je disais, je sentais une inimité sous-jacente. Quant au patriarche, bien qu'il ne m'ait pour le moment jamais paru particulièrement étrange ou frontalement hostile, je sentais une méfiance de sa part et je n'avais de toute façon jamais été très à l'aise avec les hommes d'âge mûr.

Je pensais progresser dans mon enquête petit à petit, tout en assurant un soutien moral à ma sœur, mais son état émotionnel avait complètement décliné : certains jours, elle s'enfermait dans sa chambre des journées entières pour se reposer. Je ne savais pas ce qui se passait lorsque je n'étais pas à ses côtés, mais je soupçonnais que la moindre contrariété de la part de William se répercutait sur ma pauvre Rose. Je restais à l'affût du moindre des indices qu'elle pouvait laisser échapper, scrutant chaque parcelle de son corps qu'elle laissait apparaître, avec l'espérance morbide d'y déceler une preuve de violence.

Cependant, une créature tout aussi observatrice me coupa très rapidement dans mes fantaisies de détective en herbe. Un soir, Eleanor elle-même me fit la grâce de sa présence en toquant à ma porte après un dîner où elle m'avait dévisagée avec suffisance plus que d'ordinaire. Sur le pas de ma porte, son rictus hypocrite aux lèvres, elle me demanda :

— M'accorderiez-vous un peu de votre temps pour discuter ?

S'il n'en tenait qu'à moi, je m'en serais bien passé, mais je connaissais les limites de la bienséance.