La faiseuse de rêves - Chronique des De Chastel

Chapitre 3

13 Décembre 1339

Noël approchait, et malgré l'ombre de la guerre qui s'étendait sur nous, Lucie et moi étions décidées à apporter un peu de joie dans le manoir. Les décorations étaient presque terminées, mais il manquait une pièce essentielle : le sapin. Ce matin-là, nous nous étions réveillées avec un enthousiasme presque enfantin, bien déterminées à décorer le grand arbre que nous avions installé la veille dans le hall de l'Andormy.

- Tu penses qu'il est trop grand ? demanda Lucie, les mains sur les hanches, observant l'arbre imposant qui trônait au centre du hall.

- Peut-être, mais si on l'avait pris plus petit, on aurait regretté, Mère nous aurait dit que nous n'y avions pas mis assez d'ambition. Répondis-je en souriant.

Lucie haussa les épaules, un sourire espiègle aux lèvres.

- Eh bien, mieux vaut trop que pas assez, non ?

Nous avons commencé à sortir les vieilles boîtes poussiéreuses qui contenaient les décorations de Noël de notre enfance. Des guirlandes de perles, des boules de verre délicates, certaines ébréchées par le temps, mais toujours aussi scintillantes. Chaque objet semblait chargé de souvenirs, comme s'ils contenaient un morceau des Noëls d'autrefois, avant que la mort de père n'emporte avec elle la légèreté de ces jours heureux.

- Tu te souviens de cette étoile en papier mâché que tu avais faite ? dit Lucie en sortant une petite étoile dorée, ses bords légèrement abîmés.

Je rougis en la voyant, cela faisait remonter tant de souvenirs.

- Je devais avoir huit ans... Lucie, je ne pensais pas qu'elle aurait survécu jusqu'à maintenant.

- Elle est un peu de travers, mais c'est son charme, répondit Lucie en la suspendant presque au sommet du sapin, se hissant sur la pointe des pieds sans arriver à l'atteindre.

Nous avons continué à décorer en silence pendant un moment, chacune concentrée sur sa tâche, en ajoutant guirlandes, pommes de pin, et petites figurines que nous avions fabriquées avec ce que nous avions trouvé. Mais l'ambiance était encore trop sérieuse, trop silencieuse. Alors, je décidais de rompre cette lourdeur avec un peu de légèreté.

- Tu te souviens de l'année où tu as insisté pour mettre du coton partout dans la maison pour faire semblant qu'il neigeait ?

Lucie éclata de rire en se rappelant.

- Oui, et Mère m'a poursuivie pendant des jours avec un balai pour tout nettoyer ! Elle était furieuse !

- Je crois que c'était surtout parce que nous avions oublié de le dire à Père, et qu'il s'est pris les pieds dedans en descendant les escaliers, ajoutais-je, riant à mon tour.

- Il n'avait rien dit, mais son regard... Je m'en souviens encore.

Lucie accrochait des pommes de pin dorées aux branches du bas pendant que je disposais les boules de verre plus haut. Nous avions trouvé de petits rubans rouges et verts, que nous avons noués aux extrémités des branches pour donner un peu de couleur à l'ensemble.

- Est-ce que tu crois que les soldats vont aimer ce que nous avons fait ? demanda Lucie après un moment, sa voix redevenue plus douce, plus inquiète.

- Je pense qu'ils ne se souviennent même plus de la dernière fois où ils ont vu un sapin de Noël. Alors oui, je crois que ça leur fera du bien.

Lucie hocha la tête, puis haussa un sourcil malicieux.

- Tu sais, on devrait leur donner des bonnets de Noël, juste pour voir leurs têtes.