La lumière étouffée du soleil pénètre l'étroitesse des fenêtres de notre chambre. Ces murs de pierre qui nous pressent plus qu'ils ne nous couvrent. Je fixe le vide depuis peut-être une heure. Une nuit complète de sommeil est un luxe dans mon monde. Je ne connais pas ça.Je suis endormie tard comme toutes les autres filles. Je m'endors une heure après sur le coup de la fatigue. Deux heures après ce sont mes cauchemars qui me réveillent puis je veille jusqu'à ce que la même sensation m'éveille.
L'eau que l'on verse sur nos corps poussiéreux de ce sol qui nous sert de lit. Les filles sursautent comme à chaque fois alors que je reste de marbre, prête à encaisser le poids de mon destin.
__ Une minute! Vous avez une minute pour vous préparer et descendre! Hurle la voix de cette vieille sorcière.
Je me lève mollement et m'empare de ma brosse à dent que je cache dans mes chaussures.
Quoi?
Sinon je serais obligée de partager avec les autres filles. Sur le coup de la précipitation tout le monde se mélange les pinceaux. Personne ne sait plus ce qui lui appartient. En quelques secondes je suis brossé grâce à ce charbon et cette flaque d'eau.
Oui parce que la brosse à dent est en fait un charbon taillé par chacun. Je l'ai dit, nous ne vivons pas du luxe.
Nos pas s'entendent dans les escaliers en bois rouillés. Chaque jour, nous avons une chance de nous fracasser la jambe.
Alignées comme des militaires devant leur trois têtes par couleur de peau, taille et poids, elles passent le contrôle matinale.
Sous leurs yeux d'aigles, certaines, toutes tremblent sauf moi. Je ne suis pas courageuse, non, je n'ai plus de cœur ni de peine. Je suis comme un objet programmé depuis dix-sept ans, bientôt dix-huit. Je subis. C'est tout ce que je connais.
__ Toi!
Je sais bien qu'il s'agit de moi. Je suis à leurs yeux la plus docile, la plus propre et la plus potable alors c'est moi qu'on choisit. J'ai bien essayé de prétendre le contraire mais rien ne servait de me perdre encore pour elles. Ma personne est bien trop précieuse.
Mes pas me dirigent vers elle. On vérifie si je n'ai pas une arme, si je ne suis pas tombée malade, si mes dents sont blanches, si mes formes ne se sont pas évaporées puis je les suis.
Oh comme je rêve! Que je rêve de pouvoir cracher sur leurs têtes de centenaires. Hélas cela provoquerait ma mort avant ma libérté. Pas que je ne veuille pas partir pour de bon mais j'ai un rêve depuis toujours : celui de voir le monde extérieur. À quoi ressemblerait la vie derrière cette porte? Est-ce aussi morose et injuste? Ou est-ce joyeux et juste.
Tout ce que je sais de moi ne m'est nullement utile. Je ne sais pas qui est-ce que j'étais avant ici. Le collier autour de mon cou est la seule expression d'une vie réaliste que j'aurais eu, une héritage de mes parents.
Mes parents...
J'aime ce collier mais pas eux. Ce collier me rappelle ma religion. Je ne la connais pas mais je l'aime. Une des filles est chrétienne aussi mais contrairement à moi elle a vécu dehors jusqu'à ses cinq hivernages. Alors elle m'a expliqué ce qu'elle sait. Il existe un Dieu qui nous protège.
Oui je ne sais rien de plus. Alors lorsque je vois le noir couvrir mon cœur je lui parle. Est-ce qu'Il m'écoute? Je ne sais pas. Est-ce qu'Il m'entends? Je crois oui. Je Lui parle de tout.
Enfin bref, la tentative d'oublier les réalités qui vont suivre ne marche guère. Je suis ce long couloir que j'ai surnommé le couloir de la mort.
Plus jeune je pleurais, je criais, j'hurlais. Je me faisais frapper, traîner et cracher dessus. Aujourd'hui je marche la tête haute, les bras le long du corps. Chaque pas que je fais creuse plus profondément le trou béant de mon cœur. Je redoute le jour où il sera trop grand au point que je m'y perde.
Mon air fier n'est que poussière. Dans peu je retournerai à l'enfance, mes larmes couleront à l'intérieur de mon corps, ma peau se déchirera pourquoi pas encore, mon âme me quittera un moment plus tard.
La porte s'ouvre.
Qui pour me voler ma dignité aujourd'hui. Voler, je ne sais pas. Je dirais acheter. Moi je ne vois pas une pièce mais je vends quand même.
__ Sois sage.
Que pourrais-je faire d'autres? M'enfuir? Pour ressentir de nouveau un coup de fer sur mon dos? Pour sentir le sang quitter mes yeux ou pour me retrouver debout pendant soixante douze heures? Non merci.
Je ferme les yeux. Ça ira plus vite.__ Tu es parfaite...par-fai-te.
Je regarde le vide de son visage.
Des cheveux blancs recouvrent son crâne pourtant rasés, ses yeux globuleux renferment un noir profond et son ventre est emprisonné dans une chemise mal boutonnée.
Un politicien.
Un parmi tant d'autres qui trouvent joie dans le malheur de filles comme moi.
__ Fais une pause, je prends une photo pour un ami.
Mon cerveau est en off. J'obéis comme le ferait un chien. C'est bientôt fini, promis.
Fin de chapitre
Qu'avez-vous pensé ??
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Dernier acte d'un héros
Historia CortaCondamnée depuis toujours à la vie cauchemardesque dans cet orphelinat, Anna se voit offrir la porte d'une liberté qu'elle savait adviendrait à sa majorité. Alors quel est le prix de cette liberté? Un mariage arrangé avec un politicien déchu? Anna n...