Gris Cendre. partie 1

2 1 0
                                    


Hiver dans le nord du pays, j'entre dans un village au bord de la mer. Le soir est déjà tombé. Tout est gris, les maisons en pierres, le ciel nuageux, le visage des habitants...

Quelle nature glaciale, sinistre même. Non, je ne resterai pas longtemps dans cet endroit. Mais il me faut bien y passer la nuit. Je rejoindrai le château à l'aube pour y retrouver mon père. Il sera si fier demain quand je deviendrai chevalier.

Un homme sort de chez lui. Je le vois s'avancer vers moi. Ses cheveux sont aussi gris que son regard...

- Holà mon brave. Où puis-je trouver de quoi me restaurer et où dormir ?

-Mon bon seigneur. Que vous tombez mal. Ce soir notre village est en veillée funèbre... Personne n'acceptera de loger un étranger.

- Ne connaissez-vous vraiment personne qui puisse m'aider pour cette nuit ? Je payerai bien, l'argent n'est point un problème pour moi.

-Je m'en doute, mon bon seigneur. Cela fait bien longtemps que l'on a vu pareille mise que la vôtre. Il y a peut-être quelqu'un qui pourrait vous aider... Demandez au forgeron, peut être pourra t'il vous héberger... mais n'espérez pas y rester plus d'une nuit. Vous trouverez son atelier trois rues plus loin, prenez à gauche ce n'est pas trop loin.

-Je vous remercie pour votre peine, tenez.

Une pièce neuve vaut bien un renseignement de cette sorte. Tout est si vide ici, comme si on avait ôté l'âme même de ce village. Même mon coursier ne veut pas s'aventurer dans un tel endroit mais il va bien falloir y rester. Je te promets fidèle ami, mon plaisir ne se trouve pas non plus en l'idée de rester ici. L'atelier est proche, je le vois. Il me faut descendre de ma monture. Le froid m'envahi d'un seul coup comme une morsure.

Mes bottes touchent le sol de terre que la pluie récente a transformé en boue. Par endroit, de petits lacs d'eau claire se sont déjà transformés en miroir de glace. Avançons. Je frappe à la porte et entre.

Un petit homme s'affaire dans une atmosphère infernale, la chaleur m'étouffe. Le bruit de son marteau de forge frappe le métal dans un étrange rythme, presque une mélodie obscure. Il ne m'a pas entendu rentrer.

-Maitre forgeron ? Est-ce vous ?

Il m'a entendu et se retourne. Son visage est marqué d'une balafre à l'œil droit. Le regard qu'il me fait me montre que je ne suis pas le bienvenu. J'en suis mal à l'aise. Pourquoi autant de froideur pour un étranger ?

- Un homme m'a dit qu'il pourrait y avoir moyen de loger chez vous, cette nuit...

Il ne bouge pas. Son regard se plante dans le mien. Quel funeste personnage. Ses yeux ressemblent à deux vitraux qui auraient perdu leurs couleurs d'antan. Il ne lui en reste même pas la brillance naturelle. Une âme froide pour un lieu qui rappelle les fourneaux des enfers...

-Oui, ma grange est vôtre pour cette nuit mais pas plus. Demain à l'aube vous quitterez le village sans faire d'histoire.

Il se retourne et reprend sa besogne. Il me semble que cet homme est déjà perdu dans ses pensées, comme coupé du monde, coupé de moi. Je me permets de le regarder travailler un instant. Ses larges épaules bougent au rythme des coups de sa masse. Son dos est voûté comme cassé par son travail infernal.

Je m'en vais dans la grange située à côté. J'y fais entrer mon cheval et défait les sacs. Je prends de la paille bien sèche et commence à brosser le flanc de mon animal. Je m'aperçois que lui aussi est gris. Gris ? Depuis quand ? Je me souviens du jour où je l'ai reçu pour ma première chasse au sanglier avec mon père et ses hommes. Une monture blanche comme la neige. Le voyage à surement dû être plus long que je ne le croyais pour avoir autant souillé sa robe. Je n'ai pas dû le ménager. Tu vas pouvoir te reposer ce soir mon bel ami. On frappe. Le forgeron est là devant le seuil mais n'ose entrer. Sa tête est rentrée dans ses épaules. Il me paraît plus petit que tout à l'heure. Que me veut-il ?

- Je ne serai pas là ce soir. Comme tout le village d'ailleurs. Une messe spéciale est prévue pour la nuit. Je vous propose de vous offrir le repas avant que je ne parte.

- Je comprends et je vous en remercie.

Je le suis. Il m'emmène à l'arrière de son atelier par une petite porte. Deux assiettes remplies nous attendent sur la table en bois. La pièce est petite mais confortable. Je m'assois et le maître de maison fait de même. Il m'invite à commencer mon repas sans un mot. Il n'est pas du genre à avoir la conversation facile. Nous mangeons donc dans un silence religieux. Cela me change des repas où je festoie avec mes amis jusqu'au petit matin ! Le forgeron se dépêche de finir. Il semble comme mal à l'aise. Il se lève et me fait un signe de tête. Je comprends qu'il faut qu'il parte. Je n'ai pas eu le temps de finir mon potage mais me lève quand même pour saluer mon hôte. Il me salut à son tour et me quitte. Je me retrouve donc seul dans cette pièce. Bien que vide, elle semble réconfortante. Elle est si différente de son propriétaire tellement distant. Mais cela ne me regarde en rien. Je fini mon repas et repars dans la grange en prenant soin de refermer la porte derrière moi.

Mon cheval bien attaché, je décide de ressortir dans la ville. Quelque chose me donne envie de comprendre ce village, cette froideur, cette distance des habitants...

Je m'avance dans la rue. Elle est déserte. Je contemple les maisons. Toutes identiques. Toutes en pierres. Elles se confondent avec le ciel qui s'obscurcit de plus en plus. Je continu de marcher. Un vent froid se lève. Il me rappelle lui aussi que la nuit arrive. Je remonte mes épaules. Le froid passera moins ainsi. Je marche et pense. Mon père m'attend avec le reste de ma famille. Si j'arrive assez tôt demain je pourrais tous les saluer. Et peut-être aurais-je le temps de voir Marie ? Aura-t 'elle changée ? Les sœurs grandissent t'elles aussi vite que les autres jeunes filles ?

Histoires SombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant