Gris Cendre. partie 2

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J'emprunte un petit chemin qui m'éloigne du village. Il guide mes pas vers la falaise. La mer est aussi grise que le reste. Les vagues se déchainent sous les appels du vent. Elles lui répondent en claquant le long des parois rocheuses. Je regarde l'horizon. Cet espace infini me donne à réfléchir et m'apaise. J'ai tant voyagé que laisser mon esprit vagabonder me détend. Le vent souffle et siffle. Il murmure presque des mots. Quels sont t'ils ? 

 Un bruit sourd, une mélodie ténébreuse s'empare de mon cœur. Comme un chant mystique dont je ne pourrais saisir les paroles. Le vent se fait de plus en plus aigu comme un cri de femme. Cela me glace le sang. Quelque chose me terrifie. Quelque chose d'insondable et de noir. Je décide de faire demi-tour et de rentrer à la grange. J'ai du mal à avancer. Mon corps est paralysé par le froid. Mes pieds sont lourds et gelés. J'enfouis mon visage dans mon manteau. Le froid me glace. Je ne peux me retenir de claquer des dents. Le vent me mord le visage. Il me pousse en arrière. Il me vient à l'esprit qu'il tente de me faire tomber de la falaise. Je m'en éloigne. 

Ma tête me fait mal d'un coup. Comme si mes tempes étaient prises dans un étau. Il se resserre sur mon crâne. Je plisse les yeux pour atténuer la douleur. J'avance sans regarder devant moi. Je lutte contre cette force de la nature. Ma tête vibre à chacun de mes pas. Je me concentre du mieux que je peux pour rentrer. Le retour me parait plus long. Je me traine comme si je portais quelqu'un d'autre sur mes épaules. Mon corps est pris de lourdeur. Je me sens plus faible qu'à mon arrivé. Suis-je pris de mal ? J'arrive enfin à la grange. Mon cheval hennit et recule en me voyant. Il me regarde comme un fou. Je le rassure, ce n'est que moi. Il ne se calme pas pour autant. Je le prends par la bride et lui caresse le front. Ma main se réchauffe à son contact. Il frappe son sabot contre le sol et fini par se calmer. Je me couche dans la paille. L'odeur forte me monte à la tête et ne calme pas ma douleur. J'essaye pourtant de m'endormir. Je ferme les yeux et essaye de ne pas réfléchir. Mon esprit arrive à s'éloigner de la douleur. Je sens que je m'apaise. Je me sens plus léger. Un chant me parvient. Je commence à m'endormir et rêver. 

 Je vois une jeune fille brune. Elle court dans la lande, elle se retourne et me sourit. Son sourire est doux et apaisant. Il me rappelle le soleil d'été. Je me rapproche d'elle mais elle se remet à courir. Je tends le bras pour l'attraper. Elle rit et court de plus belle. Je lui demande de m'attendre. Elle n'en fait rien. Je vois sa cape sombre gonfler derrière elle et ses cheveux s'envoler. J'essaye de la rejoindre. Elle tombe dans l'herbe. Elle rit. Je la rattrape enfin. Je regarde son visage. Il me donne envie de sourire. Je la regarde. Elle est belle. Ses cheveux fouettent doucement ses joues. Le vent est chaud et je me sens bien. Je penche la tête en arrière et profite des rayons du soleil. Je rouvre les yeux et vois la jeune fille debout devant moi. Je ne connais pas son nom. Elle me sourit encore. Son visage se veut plus calme. Elle me regarde droit dans les yeux. Elle me parle mais je n'entends rien. Je lui demande de parler plus fort. Elle s'exécute. Je ne l'entends toujours pas. Son visage se ferme. Elle me montre le ciel. Je me retourne et n'y voit rien.

 La jeune fille m'attrape par les épaules et m'enfonce ses ongles dans ma chair. Elle me fait mal mais je n'ose bouger. Ses yeux me paralysent. Elle ne sourit plus. Son visage est déformé par la colère. Elle se met à hurler dans le vent qui se lève. Tout tourne autour de nous. Le soleil à fait place aux nuages. Le froid revient et il s'empare de nouveau de mon être. Je ne peux plus bouger. La jeune fille me regarde et son visage se crispe dans une grimace de terreur. Elle a peur. Elle est effrayée. Par qui ? Par quoi ? Je hurle pour lui demander mais mes mots sont couverts par le bruit du vent. Lui aussi hurle. Il me crie la peur de la fille brune. Sa terreur est la sienne. Ces deux-là sont liés. La fille du vent me lâche et tombe à genoux. Elle se recroqueville devant moi et tient ses jambes entre ses bras. Je me penche et essaye de la toucher sans y parvenir. Elle ne me voit plus. Elle pleure de terreur. Je ne peux rien pour elle. Elle ne sent pas ma présence. Un sursaut s'empare de moi. Je me réveille. Je suis en sueur. J'entends un bruit. Je cours et sort de la grange. Le maître forgeron me regarde de ses yeux gris. Il vient de rentrer de la messe funèbre.

Je veux lui dire que je souhaite quitter ce village au plus vite. Il n'est pas bon pour moi de rester dans cet étrange endroit. Mais quelque chose se passe. Je ne contrôle pas ma voix. La seule chose que j'arrive à dire intelligiblement c'est « Papa !».

Papa ? Pourquoi ? Le forgeron me regard avec méfiance. Et me demande si je vais bien. Je veux le rassurer et lui dire que c'est une erreur mais les mots m'échappent et d'autres sortent de ma bouche contre ma volonté.

- Papa, c'est moi !

- Je ne vous permets pas jeune homme !

Le forgeron plisse les yeux. Je vois qu'il n'apprécie pas mes mots bien malgré moi. Mes muscles se paralysent. Je ressens comme un abandon. Une tristesse infinie. Ma tête recommence à me faire mal. Je tombe au sol tel un guerrier vaincu et me tient le visage. Des larmes coulent de mes yeux. Je ne comprends pas. L'homme me regarde toujours et me dévisage comme si j'étais fou. Le suis-je ? J'ai mal, je crie. La douleur est de plus en plus forte. Ma tête semble prête à exploser. Une chose est en train de me contrôler. Je ne peux lui échapper mais j'essaye de lutter de toutes mes forces. En vain. Je sens un froid mortel m'envahir l'âme et le corps. Le Forgeron prend peur. Il me dévisage. Mon visage doit être livide. Je l'entends murmurer :

-Un mort....

Non je ne le suis pas ! Je suis encore jeune ! Je ne peux pas mourir ! Je lutte. Ma tête est remplie d'une froideur intense. Elle est le désespoir. Elle m'envahit avec sa compagne Tristesse. Toutes deux me remplissent et me vident en même temps. J'ai mal. Rien ne les arrête. Elles me possèdent. Mon corps ne m'obéit plus. Il ne m'appartient plus. Elles relèvent ma tête. Mes yeux leurs appartiennent ainsi que ma bouche. Ma tête est remplie de leurs complaintes. Des mots sortent de moi mais je ne les entends pas. Je suis enfermé dans mon propre corps.

-Père... Je suis Jeanne...

- Ma fille ? Que se passe-t-il ? Jeune homme ce n'est pas d...

- Père, pitié ! Écoutez-moi ! Je suis morte et je suis damnée...

-Il suffit ! Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

-Père !

Le forgeron grimace. C'est de la haine que je vois dans ses yeux. Une haine viscérale et coupante comme une épée. Il me glace l'échine. Je tremble. La douleur se renforce. Mes yeux pleurent sans s'arrêter. La douleur m'empoigne de plus en plus. Je me retiens à la terre froide. Mes mains se crispent sur elle et je la serre entre mes doigts. Il doit comprendre !

-PÈRE ! NE ME TOURNEZ PAS LE DOS ! PAS CETTE FOIS ENCORE ! PITIE PÈRE !!

À travers mes larmes, je distingue le maître se figer. Son visage se vide du peu des couleurs qu'il possédait. Une nouvelle lumière apparaît dans ses yeux. Ils s'humidifient et tremblent. L'espoir revient.

Histoires SombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant