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Je trouve triste le fait qu'une grande partie de mes souvenirs m'échappe. Souvent l'impression d'une époque révolue me revient, une précision mêlée de confusion, et je suis mystifiée par le fait que sans l'intervention fortuite de quelque soubresaut sensoriel ou spirituel, la mémoire de ces choses, l'air spécifique d'une période de ma vie ne me serait jamais revenu. Je suis une sorte d'empereur indolent : dans le sérail de mes réminiscences, la richesse de la conscience abonde, déclinée en beautés étouffantes et en laideurs notables. J'aimerais choyer tout cela à jamais, tout tenir au creux de ma main à chaque instant. Mais j'en suis incapable. Peu importe à quel point je me démène, je n'arrive à m'enticher que d'un mirage à la fois. Or toute toquade coûte une négligence ; une folle amourette avec une entité de mon esprit – fraîche ou ancienne – vient au prix d'un divorce avec une autre partie de moi-même. Et ces schismes sont affreux en ce qu'ils se font sans un bruit, sans même une éclaboussure ou l'outrage d'une doléance. La violence, la secousse, sont pour moi adornées d'un sceau de dignité et de chaleur ; ce qu'elles infligent vaudra toujours mieux que le néant. La vacuité mutique tétanise quelque chose de profond en moi. Peut-être est-ce pour ça que la mort nous est si terrifiante. L'humanité, au fond, préfèrerait les fers du Tartare, les cent mille fustigations de la Géhenne à la quiétude qu'elle essaie d'éloigner depuis la nuit des temps.

début octobre deux-mille-vingt-quatre

les pâturages de l'âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant