Chapitre 14: Pensée

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C'est une nuit sans lune, une de celles où l'obscurité semble si épaisse qu'on pourrait la toucher. La pluie frappe contre les carreaux avec une violence qui ne cesse de s'amplifier, et le vent hurle à travers les arbres comme un animal enragé. Oria est assise devant son bureau, la lumière tremblotante d'une vieille lampe à huile illuminant à peine la pièce. Ses doigts sont crispés autour d'un stylo, ses pensées sombrent dans l'abîme de ses émotions. 

Elle observe la feuille blanche devant elle, déchirée entre l'envie de coucher sur le papier ce qu'elle ressent et la peur de voir ses ténèbres se matérialiser en mots. La tempête à l'extérieur reflète parfaitement celle qui gronde en elle. Les gouttes d'eau s'écrasent contre les fenêtres avec une intensité presque suffocante, comme si elles tentaient de pénétrer dans la chambre pour l'emporter avec elles.

« Pourquoi suis-je ainsi ? » murmure-t-elle, sa voix à peine audible, engloutie par les hurlements du vent. « Pourquoi est-ce que tout semble si... sombre, si irrémédiable ? »

Oria s'enfonce un peu plus dans son fauteuil, le regard vide, perdu dans un flot de souvenirs et de questions sans réponse. Les jours heureux paraissent loin, presque irréels, comme une illusion qui s'est effondrée. Sa main se met à trembler tandis qu'elle trace enfin des mots sur le papier, les premiers d'une longue nuit d'écriture.

_"Il y a une noirceur en moi, une ombre qui grandit chaque jour, dévorant tout sur son passage. J'ai beau tenter de l'ignorer, de la refouler, elle revient toujours, plus forte, plus insidieuse."_

Le bruit de la pluie devient une mélodie monotone en fond, presque apaisante dans son chaos. Oria continue d'écrire, chaque mot lui coûtant une partie de son âme, mais elle ne peut plus s'arrêter. La douleur qu'elle ressent, ce vide qui la hante, tout cela doit sortir.

_"Je pensais pouvoir m'en sortir seule, croyant naïvement que le temps finirait par apaiser mes tourments. Mais je me suis trompée. Chaque journée qui passe me plonge un peu plus dans cette nuit sans fin. Ce gouffre dans lequel je tombe ne semble avoir aucun fond, et je me demande combien de temps je pourrai encore tenir avant de disparaître totalement."_

Le vent siffle plus fort, comme pour accompagner son écriture. La tempête extérieure n'est plus qu'un écho lointain, secondaire face à la tourmente qui habite Oria. Elle se penche davantage sur sa feuille, ses pensées s'enchaînant sans relâche, ses angoisses s'étalant sur le papier comme un poison.

_"Il y a eu des jours où j'ai cru à la lumière, où j'ai pensé que le bonheur était possible. Mais cette lumière s'est éteinte. La vie m'a appris que rien n'est permanent, surtout pas les moments de paix. Chaque sourire cache une peine à venir, chaque éclat de joie n'est qu'un prélude à la douleur. Alors, à quoi bon espérer ?"_

Oria s'arrête un instant, ses doigts serrés sur le stylo, la gorge nouée par un mélange de frustration et de tristesse. Ses yeux, fixés sur les mots qu'elle vient d'écrire, commencent à se brouiller de larmes, mais elle refuse de pleurer. Les larmes ne changeraient rien. Elles ne feraient que confirmer cette faiblesse qu'elle méprise tant.

_"Je ne suis pas faible. Je suis juste... perdue. Perdue dans cette immensité sombre, dans ce néant qui m'entoure. Mais qui pourrait comprendre cela ? Qui pourrait comprendre cette solitude, ce silence assourdissant qui résonne en moi, même au milieu de la foule ?"_ 

Un éclair illumine soudain la pièce, projetant des ombres effrayantes sur les murs. Oria sursaute, son cœur battant la chamade, comme si la lumière du ciel avait tenté d'atteindre cette obscurité en elle. Mais l'instant de lumière s'éteint aussi rapidement qu'il est apparu, et la nuit reprend ses droits. Le fracas du tonnerre résonne ensuite, faisant vibrer les vitres et secouer l'âme d'Oria.

_"Je devrais en finir, mais même cette idée ne m'apporte pas de réconfort. Laisser tout tomber... Ce serait une libération, mais également un acte de lâcheté. Peut-être que je mérite cette douleur, peut-être que ce sont mes choix qui m'ont menée là. Et si c'est le cas, alors je dois en payer le prix."_

Elle se lève brusquement, incapable de rester assise plus longtemps. Ses pas résonnent dans la pièce, étouffés par le tapis sous ses pieds. Elle se dirige vers la fenêtre, contemplant la pluie qui ruisselle sur le verre, comme une métaphore de ses propres larmes non versées. Le monde extérieur est aussi en proie à une tourmente, et pourtant, la nature semble se purger de sa colère, alors qu'elle, Oria, reste prisonnière de la sienne.

_"Les gens disent souvent que tout finit par passer, que même les plus grandes douleurs s'estompent avec le temps. Mais ils ne savent pas ce que c'est que de porter une telle ombre en soi, une ombre qui s'étend et qui engloutit tout, même les souvenirs les plus doux."_

Elle ferme les yeux un instant, laissant sa tête tomber contre le cadre de la fenêtre. Ses pensées tourbillonnent comme les feuilles mortes emportées par le vent, désordonnées, incontrôlables. Pourquoi cette sensation de vide est-elle si envahissante, si persistante ? Elle se demande si un jour elle pourra retrouver la paix, ou si elle est condamnée à cette lutte perpétuelle contre elle-même.

_"Peut-être que je ne trouverai jamais de réponse. Peut-être que cette quête de sens est vaine, tout comme l'espoir de retrouver ce que j'ai perdu. Mais je ne peux m'empêcher de chercher, d'écrire, encore et encore, comme si ces mots pouvaient m'arracher à ce néant."_

L'horloge du salon sonne les coups de minuit. Le monde semble suspendu dans le temps, comme si même l'univers attendait qu'Oria prenne une décision. Mais il n'y a pas de réponse facile, pas de solution magique à cette tempête intérieure. Tout ce qu'elle peut faire, c'est continuer d'écrire, laisser ses pensées s'écouler comme une rivière, jusqu'à ce que, peut-être, elle trouve une accalmie.

Elle retourne à son bureau, le regard vide, mais ses mains prêtes à reprendre leur danse. La feuille devant elle est déjà à moitié remplie, ses confessions étalées à l'encre noire. La tempête ne montre aucun signe de faiblesse dehors, et en elle, la bataille continue.

_"Si ces mots sont tout ce qu'il me reste, alors je les écrirai, encore et encore, jusqu'à ce que je n'aie plus rien à dire. Jusqu'à ce que cette tempête, en moi comme dehors, finisse par se calmer."_

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