Chapitre 3

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On avait l'impression de voir déambuler une ombre. Elle avait maigri, sa peau était bien trop pâle pour un être encore en vie. Le faible sourire qu'elle affichait témoignait de son épuisement.

Mais dans ses yeux, on voyait une lueur chaleureuse, une certaine paix inexpliquée.

Elle s'était assise devant la fenêtre comme à son habitude. Elle n'avait pas parlé jusqu'à la fin du cours. Elle suivait chaque geste, pendue aux lèvres du professeur comme si sa vie en dépendait. Elle notait assidûment du début à la fin.

Le professeur l'avait remarqué. Son regard ne cessait de l'observer. Il lui sourit de temps en temps. C'était sa façon de l'aider. Il n'aurait pas eu les mots pour l'encourager, il le savait bien.

On avait laissé mourir les fleurs.

Le jardin était maintenant vide et triste.

Le temps avait eu raison des souvenirs.

Désolée qu'on ait enterré les seuls témoins qui l'avait vu souffrir, heureuse de pouvoir enfin dire adieu à tout ceci...

Elle avait dit Oui. Elle était de retour à la maison. Sa mère était aux anges et son père... Il allait bien.

Les examens venaient de passer, les vacances commençaient enfin. Et tout un mélange de saveurs, de senteurs l'emportait loin, très loin dans le passé.

Cette maison qui l'avait vu grandir, qui l'avait vu aimer pour la première fois. Elle lui avait appris bien des leçons, et chaque pas dans cette maison lui racontait une histoire.

Doucement, lentement, elle marchait.

Sa mère l'avait pris dans ses bras. Elle avait coulé une ou deux larmes. Sa fille avait changé, mais pas dans le bon sens du terme. La fatigue dans ses yeux, ce sourire fatigué et las.

Son père lui avait serré la main, d'une poigne qui se voulait chaleureuse. Il l'avait regardé dans les yeux. Son regard semblait l'interroger.

« Tu vas bien ? »

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Ça m'a pris du temps pour t'écrire encore.
Quatre mois environ sont passés, c'est vrai. Mais tout va mieux.
Je ne pensais pas le dire un jour.

« Tout va bien ».

Je suis en paix et c'est étrange. Il m'arrive de passer des jours voire des semaines entières sans penser à toi. Dingue n'est-ce pas.

« Ça me fait sourire. »

Tu te rappelle ? Ce fut un temps où je n'étais pas capable de parler de ce qui s'était passé entre nous.

Aujourd'hui, je pourrais le raconter si facilement qu'il m'arrive de croire que ce n'était qu'une vieille histoire de ma vie.

Tu te rappelles ce jour, n'est-ce pas ? Je t'avais appelé. Tu m'avais donné rendez-vous dans le parc pour discuter. J'étais si résolue à t'avouer mes sentiments, qu'on aurait dit que ma vie en dépendait.

J'étais arrivé quelques minutes après toi. Tu m'avais souri.

On avait marché sans rien se dire pendant une demi-heure. Je crois que tu avais déjà deviné l'objet de la discussion. En même temps, tes amis ne cessaient de te le rabâcher.

« Elle t'aime, ça grève les yeux. »

Tu faisais toujours la sourde oreille, mais tu avais finalement remarqué mes étranges agissements. Tu m'évitais souvent. Tu voulais te convaincre du contraire ? Inutile, je n'arrivais même plus à te regarder dans les yeux.

J'avais arrêté de marcher. Tu avais fait de même. Je te regardais. Tu aurais tout fait pour que ce moment n'arrive jamais.

Tu avais les mains dans les poches, la tête baissée et tu t'étais retourné face à moi. J'avais pris mon courage à deux mains, les bras le long du corps, les poings serrés.

« Je crois que... Non. « J'ai des sentiments pour toi. »

Je te l'avais dit si doucement, au fond, j'avais peur que tu l'entendes. Mais toi et moi le savions. Tu l'avais bien entendu.

Je ne voulais pas entendre ta réponse. À ce moment-là, j'ai compris trop tard que tout ce que j'appelais des signes était en réalité des illusions que mes propres sentiments avaient mises en scène.

J'avais tourné les talons, j'étais parti en courant. La honte me tenaillait et le regret m'étouffait.

« Tu avais peur et j'étais désespéré ».

Le drame de ma vie n'était pas ton rejet. Je l'aurais si facilement surmonté, crois-moi.

Je crois qu'après cet épisode-là, tu t'en ai voulu. Tu ne voulais pas me perdre, et tu étais prêt à tout pour me garder, parce qu'au fond, tu m'aimais, en amitié...

Tu t'es certainement dit que ça ne faisait rien si tu te faisais violence et me donnait cette affection qu'auprès de toi je recherchais. On se mettrait ensemble, au moins tu continuerais de m'avoir à tes côtés.

Je me rappelle. Tu étais venu ce soir-là. Tu avais bu, n'est-ce pas ? Tu ne pouvais pas vraiment faire cette comédie-là en étant sobre.

Je t'avais ouverte la porte. J'avais pleuré toute la journée. Tu m'avais pris dans tes bras doucement.

« Désolé Noé, je pense que moi aussi je... »

Tu n'avais même pas terminé ta phrase, même dans cet état, mentir t'était impossible. Je le savais au fond de moi, mais j'étais désespéré. Je voyais comme un rêve se réaliser et je n'ai pas su... résister.
Alors on, du moins moi, je t'ai aimé.
Et tu connais la suite...
Et maintenant, je pense que de nous deux, je devrais être celle qui s'excuse.

« Je suis désolé. »

Je m'en veux pour tout ce que je t'ai fait subir. Je ne regrette pas de t'avoir avoué mes sentiments, loin de là. Je regrette d'avoir profité de ta bonté à mon égard. Parce qu'au fond, j'ai toujours su que ce n'était pas réciproque.

Me voilà lié à toi à présent. Et que dire, si ce n'est désolé.
Je t'écris depuis chez ma mère. Elle est venue me rendre visite par surprise. Elle n'a pas voulu me laisser dans cette sombre vallée dans laquelle je vivais malheureuse.

Je fais les cours en ligne à présent. Du moins, je les ferais à la rentrée. La distance est trop longue pour que je me déplace maintenant.

À part ça, je vais bien. Toi aussi, tu vas bien, je le sais et j'en suis heureuse.

Cela dit, j'ai déjà les résultats de l'échographie. C'est une fille.

Me after youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant