Mon Prénom Révélé

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On m'appelle Biba depuis aussi loin que je m'en souvienne. Ce surnom n'a pas vraiment de sens particulier, mais il est plus court, plus léger que mon prénom officiel, et m'accompagne depuis toujours. Pourtant, mon vrai prénom a une histoire, un héritage particulier que je n'ai compris qu'en grandissant. Ce prénom, c'est mon père qui me l'a donné, un soir du mois de Rabi' al-Awwal, le mois sacré où est né le prophète Mouhammad. Un moment sacré pour les musulmans, marqué par des célébrations intenses dans chaque foyer. Dans notre famille, cette fête – le Mouloud – va bien au-delà de la tradition ; c'est un temps de joie et de gratitude où la maison se pare de décorations, de repas en abondance, et où nous remercions Dieu de nous avoir envoyé le meilleur des êtres. Ce soir-là, mon père est rentré chez nous, visiblement ivre. Il m'a prise dans ses bras, refusant de me déposer, et a commencé à chanter mon prénom en le hurlant, allumant les bougies de ma mère et de lui. Dans ce moment de folie , il semblait presque en transe, mais c'est ainsi qu'il m'a donné mon prénom, au cœur de cette nuit où la joie et le désordre se mêlaient.

Mes parents sont tous deux d'origine kabyle, enracinés en Algérie. Mon père est issu d'une grande fratrie de deux frères et neuf sœurs, mais il était complètement différent de ses autres frères et sœurs. Solitaire, tout en étant sociable, il n'a jamais suivi les traces de ses frères ou des traditions familiales. Mon grand-père paternel, quant à lui, était un artiste, un compositeur, qui jouait du mandouli, un instrument algérien traditionnel. Sa passion pour la musique n'avait d'égale que son goût pour l'alcool, un penchant qui a souvent mené à des situations marquantes. Un soir, après avoir trop bu, il est allé jusqu'au cimetière et a uriné sur la tombe d'un érudit, qui était un membre de notre famille. En rentrant de cet acte irrévérencieux, il est devenu aveugle et l'est resté jusqu'à sa mort. Pour nous, cette histoire résonne comme un rappel silencieux des conséquences de nos actes.

Du côté maternel, mes grands-parents sont eux aussi venus d'Algérie pour s'installer en Europe. Mon grand-père a été le premier à partir pour travailler dans les mines, puis, quelques années plus tard, il a fait venir ma grand-mère pour construire une vie ensemble.

Mon enfance s'est déroulée à Houma Bab El-louze, un quartier populaire de La petite kabylie où j'ai grandi en parlant kabyle et arabe. Mes premières années d'école furent marquées par un événement qui changea notre quotidien. Mon école initiale était proche de chez nous, mais un jour, ma sœur est rentrée avec des bleus au bras, qu'une enseignante lui avait laissés. Mon père, en voyant cela, a vu rouge. En Algérie, l'éducation scolaire autorise les enseignants à discipliner les élèves en frappant la paume des mains avec une règle très fine. Les élèves qui parlaient sans autorisation ou répondaient sans lever la main étaient souvent punis ainsi, recevant des coups secs et douloureux sur les doigts serrés. Moi-même, bien que studieuse, je n'ai pas échappé à ces punitions, et je peux vous assurer que ces coups sont extrêmement douloureux. Ce jour-là, pourtant, ce n'était pas la paume de ma sœur qui avait reçu les coups, mais son bras entier. Mon père n'a pas hésité et a fait un scandale. Résultat : mes parents ont décidé de nous inscrire ailleurs, et nous nous sommes retrouvés à l'école Lalla Fatma N'Soumer, ma deuxième école.

Lalla Fatma N'Soumer, qui porte le nom d'une héroïne de la résistance algérienne, fut pour moi un autre foyer d'apprentissage. Nous étions plus de quarante élèves dans une classe, parfois davantage. À six ans, j'étais déjà passionnée par l'école et j'aimais apprendre ; ma rigueur et mon enthousiasme m'avaient vite placée parmi les meilleures. Mais un souvenir particulier est resté gravé dans ma mémoire. Un jour, alors que j'étais en première année, ma professeure, Madame Yasmina, m'avait confié la responsabilité de surveiller la classe pendant qu'elle sortait faire des photocopies. Je prenais cette tâche très à cœur, et malgré une envie pressante, je me suis retenue, persuadée que je ne devais pas abandonner mon « poste ». Finalement, je n'ai pas pu résister, et j'ai eu un accident sous les rires de mes camarades. Aujourd'hui, je souris en y repensant, me disant qu'à cet âge, on accorde tellement d'importance aux petites responsabilités. J'aurais aimé pouvoir parler à la petite Biba de ce jour-là, pour lui dire : "Tu as fait de ton mieux, et c'est tout ce qui compte. Je suis fière de toi."

Mon parcours scolaire m'a apporté bien plus que des connaissances ; il a forgé mon caractère. J'ai réalisé qu'en grandissant, les responsabilités prenaient de plus en plus de place, et que ce que je pensais être le « poids du monde » enfant n'était rien en comparaison des complexités de la vie adulte.

Ma professeure, Madame Yasmina, que j'admirais tant, était une femme belle et douce, malgré une vie marquée par les blessures. Elle avait des enfants et a connu des relations difficiles, les hommes dans sa vie l'ayant souvent laissée meurtrie. Comment le savais-je ? Ce secret, qui a pris tout son sens bien plus tard, m'a été révélé avec le temps. Car cette femme si bienveillante, cette figure maternelle et inspirante, était en réalité.. l'épouse de mon père.

« Tu grandiras, tu oublieras. »Where stories live. Discover now