Chapitre 2 : La décision de se séparer

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Catherine s'était assise, les mains légèrement moites, face au maire de Québec et au Premier ministre de la province. L'atmosphère dans la salle était pesante, presque étouffante. Le silence régnait encore, seulement brisé par le bruit des pas d'un secrétaire qui s'activait discrètement dans le fond de la pièce. Catherine sentait une sorte de tension électrique, comme si elle se trouvait au centre d'un moment charnière, sans encore en connaître la portée.

— Madame Lemieux, commença finalement le maire, je sais que vous devez être surprise de nous voir ici, et encore plus de recevoir une convocation aussi... inattendue. Mais ce que nous allons vous dire est d'une importance capitale.

Catherine hocha la tête, silencieuse, tentant de maîtriser son appréhension.

— Comme vous le savez sûrement, poursuivit le Premier ministre, le gouvernement fédéral du Canada a depuis longtemps ignoré les aspirations du Québec à l’autonomie. Notre langue, notre culture, et nos droits ont été négligés dans les décisions politiques venant d'Ottawa. Cela ne peut plus continuer.

Il marqua une pause, fixant Catherine droit dans les yeux, comme pour mesurer l’impact de ses paroles.

— Le Québec est une nation distincte, une nation qui mérite d'exister en tant que telle, poursuivit-il avec un ton solennel. C’est pourquoi, après de longues délibérations et en concertation avec divers leaders locaux, nous avons décidé de déclarer l'indépendance de la province. Dès aujourd'hui, le Québec se sépare du Canada. Nous serons une nation souveraine.

Catherine sentit son souffle se couper. Les mots flottaient dans l’air, presque irréels. L’indépendance du Québec ? Séparer la province du Canada ? Elle savait que des mouvements indépendantistes avaient toujours existé, que des voix s’élevaient régulièrement pour dénoncer l'influence excessive du gouvernement fédéral. Mais de là à faire le grand saut ? C'était une décision monumentale, historique, un tournant pour toute la nation québécoise.

— Nous avons besoin de vous, continua le maire en posant un regard intense sur Catherine. Vous êtes une figure respectée dans la communauté, connue pour votre discrétion et votre intégrité. Nous vous invitons à siéger temporairement au sein du premier parlement québécois, en attendant que des élections démocratiques soient organisées. Votre présence apporterait une stabilité indispensable en ces temps incertains.

Catherine demeura un instant muette, ne sachant quoi répondre. Elle n’avait jamais été impliquée dans la politique, elle qui avait toujours préféré les mondes fictifs des livres à la complexité du pouvoir réel. Mais voilà qu’on lui demandait de participer à l’un des moments les plus cruciaux de l’histoire du Québec.

— Monsieur le Premier ministre, Monsieur le maire, dit-elle enfin, je suis flattée par votre confiance... mais je ne suis qu’une simple bibliothécaire. Je ne sais rien de la politique.

Le maire sourit légèrement.

— Ce n'est pas de la politique que nous avons besoin, mais de sagesse. Votre perspective en tant que citoyenne, quelqu'un qui connaît les besoins du peuple, est ce dont nous avons besoin. C'est un gouvernement de transition, Catherine, une période provisoire avant que la voix du peuple ne soit entendue par des élections. Nous avons besoin de vous pour cette transition.

Catherine resta silencieuse, les pensées tourbillonnant dans son esprit. Si elle acceptait, elle s’engagerait dans un chemin sans retour, un chemin jonché d’incertitudes et de pressions. Mais si elle refusait, elle se demandait si elle ne laisserait pas tomber sa province, son peuple, à un moment où elle pourrait avoir un rôle à jouer.

— Je vais y réfléchir, répondit-elle finalement d'une voix mesurée.

Le Premier ministre hocha la tête avec compréhension.

— Prenez le temps qu'il vous faut, Madame Lemieux. Mais sachez que le temps est compté. Le gouvernement canadien n'acceptera pas cette déclaration sans réagir, et nous devons être prêts.

Quelques jours plus tard...

La décision fut prise beaucoup plus rapidement qu’elle ne l’avait anticipé. À peine quelques jours après sa rencontre avec le maire et le Premier ministre, Catherine se retrouva au centre de la tourmente politique. Le gouvernement fédéral canadien avait réagi avec une promptitude et une fermeté qu’elle n’avait pas anticipées. Ottawa avait immédiatement condamné la déclaration de sécession, qualifiant le mouvement québécois d’illégal et promettant de restaurer l’ordre constitutionnel par tous les moyens nécessaires. Des promesses d’intervention militaire circulaient déjà dans les médias, alimentant la peur et l’incertitude.

Pendant ce temps, la nouvelle administration québécoise tentait désespérément d’établir une forme de gouvernement fonctionnel. Le parlement de transition se réunit dans un bâtiment historique de Québec, à l’Assemblée nationale, sous haute sécurité. Catherine, malgré ses doutes initiaux, avait accepté de rejoindre cette assemblée provisoire. Elle n’était pas seule. D'autres citoyens, issus de divers milieux – enseignants, médecins, avocats – avaient également été invités à participer à cette tentative historique de fonder un nouvel État.

Le jour où Catherine prit place dans la grande salle de l'Assemblée, elle se sentit soudainement minuscule. La pièce, d’une architecture grandiose, résonnait du poids de l’histoire. Des portraits des anciens Premiers ministres québécois ornaient les murs, et la vaste table centrale était entourée de chaises en cuir, usées par le temps et les débats passés. Catherine s’assit lentement, écoutant les conversations feutrées des autres membres.

Les débats étaient vifs et animés. La question centrale était de savoir comment répondre à la menace d’Ottawa. Devraient-ils négocier ? Résister ? Le ton de certains membres du gouvernement devenait de plus en plus belliqueux, tandis que d’autres prônaient la diplomatie.

— Si nous ne résistons pas, nous perdrons tout ce que nous avons construit, s’écria un député récemment nommé. Nous devons montrer au Canada que nous sommes prêts à défendre notre souveraineté, par tous les moyens !

Catherine écoutait, mais ses pensées dérivaient souvent. Elle était partagée entre son rôle désormais officiel de membre du parlement et son désir de rester en retrait, de ne pas se laisser absorber par cette spirale politique. Elle repensait souvent à sa vie tranquille, à ses journées passées dans les rayonnages de la bibliothèque, loin des préoccupations géopolitiques.

Un jour, lors d'une réunion particulièrement tendue, Catherine osa finalement prendre la parole.

— Je comprends l’urgence de la situation, dit-elle, sa voix calme contrastant avec l’agitation ambiante. Mais nous ne pouvons pas nous précipiter dans un conflit avec Ottawa sans explorer toutes les voies diplomatiques possibles. Nous devons chercher le soutien international, peut-être même envisager une médiation. Se battre contre le gouvernement fédéral serait une catastrophe pour notre province.

Les regards se tournèrent vers elle, certains étonnés, d'autres curieux. Le Premier ministre hocha la tête, comme pour l’encourager à continuer.

— Nous devons faire comprendre à la communauté internationale que notre lutte n'est pas seulement une affaire interne, mais une question de droits fondamentaux, poursuivit-elle. Le Québec est une nation distincte, avec une culture et une langue uniques. Nous devons convaincre nos voisins, nos alliés potentiels, que notre cause est juste. Mais la guerre ne peut être la solution.

Ses paroles semblèrent apaiser, du moins temporairement, l'assemblée. Un silence réfléchi s'installa, et pour la première fois depuis des jours, Catherine sentit qu'elle avait peut-être trouvé sa place, non pas en tant que leader politique, mais comme voix de la raison, une médiatrice dans ce maelström chaotique.

Cependant, malgré les appels à la diplomatie, la situation dans la province continuait de se dégrader. Le gouvernement canadien durcissait ses positions, annonçant des sanctions économiques contre le Québec. L’armée était en état d’alerte, et la population, autrefois indifférente à la question de l'indépendance, commençait à se diviser. Catherine voyait les premières fissures dans la société québécoise, des familles déchirées, des collègues en désaccord, et les premiers signes d’une pénurie de ressources essentielles.

Le Québec, autrefois fier et autonome, se retrouvait désormais isolé. Mais au fond de son cœur, Catherine savait qu’il y avait encore une chance, une mince lueur d’espoir, et elle était déterminée à la saisir, coûte que coûte.

L'Héritière des Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant