𝐩𝐫𝐨𝐥𝐨𝐠𝐮𝐞.

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Elle regarda attentivement le liquide cramoisi s'étaler sur la neige au sol, laissant l'animal en face d'elle se vider de son sang à une vitesse atrocement fascinante. Le corbeau noir émit encore quelques gémissements de souffrance, ses yeux sombres hurlèrent de douleur mais après quelques secondes, ses croassements s'arrêtèrent finalement. Son bec remua désespérément encore une fois, une deuxième, puis s'immobilisa subitement. Quand elle comprit que la bête avait finalement succombé à ses blessures, elle ferma les yeux à son tour.

Sans pitié, l'air glacial gifla son visage alors même que tout son corps lui semblait étrangement chaud. Brûlant même. C'était comme si un feu ardent bouillonnait à l'intérieur de son organisme, il semblait prendre vie dans son estomac, s'étendant jusqu'aux bouts de ses doigts, touchant ses orteils, effleurant chacune de ses mèches de cheveux jusqu'à faire calciner chacun des neurones de son cerveau. Elle pouvait presque sentir l'odeur de la fumée se propager dans l'air autour d'elle. La douleur physique semblait être partout et nulle part à la fois. Était-elle blessée ? Si oui, où exactement ? La seule chose qu'elle pouvait assimiler à l'instant, c'était les pulsations erratiques de son cœur contre sa cage thoracique et le feu bouillonnant dans sa tête.

Le vent hivernal, toujours impitoyable, continua à fouetter ses longues mèches brunes et quand l'une vint violemment frapper son visage, elle ouvrit finalement les yeux. Le corbeau mort était toujours dans la même position : ses yeux sombres, à présent vides de vie, l'observant, la flaque de sang autour de lui s'élargissant de plus en plus et ses plumes noires étaient maintenant recouvertes d'une fine couche de blanc à cause des flocons qui s'évanouissaient au sol. Elle fixa son regard dans les yeux figés de la bête. Ses billes noires ressemblaient à des puits sans fin, comme des ténèbres prêtes à engloutir quiconque risquerait de s'approcher de trop près. Terrifiant mais fascinant.

Sans crier garde, un pas la propulsa vers l'avant comme une barque entraînée par un courant invisible. Le mouvement lui parut lourd mais fluide, son corps semblait flotter à la surface, défiant toutes les lois de la gravité, mais à la fois, une main transparente semblait la retenir, la paralysant et l'empêchant de se mouvoir d'un millimètre, la soudant au sol comme un tronc d'arbre à ses racines. Elle perdit finalement le contrôle de son corps et ses genoux heurtèrent brutalement le sol enneigé. Une vague de panique la submergea. Qu'est-ce qui lui arrivait, au juste ? Pourquoi son corps semblait ne plus lui appartenir ? Avant même qu'elle ne réfléchisse au sens de son geste, ses doigts, ayant pris des teintes bleues à cause de la température atrocement basse, plongèrent dans la flaque d'hémoglobine. Elle ignora combien de temps elle resta ainsi, dans cette position, les genoux à terre, son regard transperçant celui du corbeau mort et ses doigts tapotant son sang mais quand un engourdissement tira finalement sur ses deux jambes, elle se releva doucement.

"Tu es une mauvaise personne, Yéléna. Je l'ai su dès la seconde où je t'ai rencontrée pour la première fois."

Elle entendit une voix féminine lui chuchoter ces paroles et quand elle se tourna, pensant apercevoir son interlocutrice, le paysage était désert. La voix semblait être seulement dans sa tête mais elle fut incapable de la reconnaître. Un rêve ? Un souvenir ? Un fantôme ? Un frisson parcourut son échine. La voix, murmure insaisissable, semblait provenir des profondeurs de son propre être. Elle secoua vivement son visage pour tenter de la chasser. Son attention se fixa finalement sur les fines gouttes de liquide visqueux qui perlaient de sa main pour s'étaler violemment sur le sol. À ses pieds, la neige était parsemée de taches rouges. Le contraste entre le blanc laiteux des flocons et le bordeaux du sang la fascinait. Pendant une seconde, la seule chose à laquelle elle pouvait penser était à l'importance et à l'effroyable nécessité de peindre ce spectacle absurde. Elle n'était même pas peintre.

nevka.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant