Brouillard

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Le clapotis de mes pas faisait écho aux murmures des rigoles chargées d'une eau ruisselante et sombre . La rue était déserte , la foule s'était tue . Devant mes yeux ne subsistait que le néant , ainsi que l'inexplicable sensation d'avoir rêvé . En quelques brefs instants , les contours indistincts de la porte s'étaient estompés . La réalité m'avait à nouveau projeté aux pieds d'un ensemble de grisaille humaine et de paroles indescriptibles . Le vide , la douleur , et cette peur , existentielle , cette angoisse permanente d'exister dans un décor traçant le portrait d'une société frivole ,  gravitaient autour de moi , subsistaient dans ces alentours dénués d'émotions.

À présent , le silence se faisait roi , tandis que les premières couleurs de la nuit teintaient le ciel . Je gravis quelques marches ,ignorant les passants qui me saluaient ,  et je regagnais mon quotidien , la normalité , l'écho qui vivait parmi nous .

 La clef cliqueta dans la serrure , puis , la porte s'ouvrit en grinçant . Mes mains glaçées devinrent écarlates . Je n'étais pas revenu chez moi . Devant mes yeux se dressaient , imposantes , attirant mon regard , les premières lueurs du couloir bleu . 

Une seconde avait suffi à l'atmosphère pour s'éclaircir subitement . Le ciel gris avait laissé place à cette immensité bleutée qui me faisait face . J'avançai lentement , les yeux clos ; pris par les lumières qui s'échappaient peu à peu des murs . Marcher ainsi durant de longues minutes me donnait l'impressio de flotter , d'échapper aux autres , à la marée , au monde . Un éclat strident parvint jusqu'à moi . J'ouvris soudain les yeux . J'eus un mouvement de recul . Une perle écarlate coulait le long de ma paume . 

Devant moi se dressait le miroir , ce reflet cruel , sanglant , car de ma main je l'avais éraflé . Je m'approchai de lui , l'observai de près . Ma paume tailladée souillait sa surface miroitante . Une vérité s'imposa alors à moi. Comment avais-ju pu , en si peu de temps , atteindre l'issue du couloir ? Le miroir se brisa violemment . Ses éclats jonchaient le sol . Il m'avait répondu . 

Minutieusement , je traversai ses morceaux de verre , m'engouffrant lentement dans l'autre monde . Quelques larmes sanguinolentes s'échappèrent de mes mains blessées . 

Je suis x ,  le meurtri , l' impotent . Pourtant ,  cette nuit , j'ai cessé d'errer dans l'illusion . 

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L'ombre s'ouvrit , entourant les alentours d'un voile opaque . Chacun de mes gestes semblait être ralenti par une mystérieuse force que je ne pouvais controler . Le doute m'envahit . 

Puis la chute . 

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........

....

Mon coeur battait au rythme d'une symphonie insurmontable . Je me retenais de hurler , tandis que la gravité m'attirait inévitablement dans son étau sombre et brumeux . La peur s'emparait violemment de mon corps , brouillant mes repères . Je désirais la vérité . 

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Quelques silhouettes floues m'entouraient , penchées au dessus de moi . Leurs bras s'agitaient , pris dans un curieux affolement . Mes paupières s'entrouvrirent , tandis qu'une douleur sourde envenimait mon corps entier . La brise me parut brutale ,habitée par une étrange douceur melliflue ,  sifflant contre mes tympans . En un instant , les passants qui m'observaient  disparurent . J'étais couvert d'entailles , mêlé de sueur et de sang .  La rue déferlait devant mes yeux , animant le flux,qui allait et venait . La foule . 

Tout à coup , une masse indistincte vint se heurter à moi . Une silhouette large d'épaules , une parcelle de cette morosité humaine , l'objet de la terreur qui m'habitait . Je l'interpellai , d'une voix trouble . Il cessa soudain sa course , se tournant lentement vers moi . 

Le vide ?  . Mon sang se glaça . Ses yeux m'avaient traversé , comme si je n'avais pas été là . J'étais invisible , évasif , flottant dans un entre-deux imprécis . Je n'existais pas . 

La silhouette avait repris son chemin , ignorant ma présence , et les traces sanglantes que mon corps balafré laissait sur les pavés . Je ne comprenais pas . Mes impressions de mirages et d'illusions incommensurables s'étaient estompées . Pourtant ; quelle était cette étrange sensation qui me parcourait de frissons , plongeant la foule dans un mutisme inexplicable ? 

Au dessus de moi , le ciel se grisait , couvrant les nuages , la lumière , le monde . Chaque passant qui marchait près de moi , m'ignorait davantage que le précédent. Mes tentatives étaient vaines.

Le temps sembla soudain s'écouler de manière plus scandée . Mon souffle était rauque , l'air se couvrait peu à peu d'une brume irrespirable . Les rares silhouettes que je croisait s'évaporaient sans laisser de traces . Je sentis alors mes tempes battre à une cadence sourde . Mes yeux se voilèrent , couverts de larmes . Je ne savais d'où elles étaient venues , ni comment elles partiraient . Elles aussi formaient un flux qui ne cessait pas . Je me sentais plus lent , plus vulnérable . Je ne ressentai rien . 

 Je crois que j'ai pleuré . 

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Était-ce la vérité ? 

Cet écho sourd résonnait en moi de plus en plus fort . Je voyais défiler les jours , emplis de grisaille , cette mélancolie emposionnée . Je dormais à l'endroit où j'étais arrivé , ignorant le temps comme m'ignoraient les rares passants . Je crois qu'ils ne m'ont jamais vu . J'étais une masse transparente , un son léger qui arrivait et partait ; sans que personne ne se pose de question. Je ne pouvais élever la voix , pris dans les filets d'un flou confus. 

Je ne mangeais pas , ne buvais pas , n'en ressentait pas le besoin . J'avais cette impression étrange d'exister en tant que masse moléculaire , objet de la création dépourvu de vie . 

Pourtant , lorsque la nuit tombait , un calme vaporeux couvrait la ville , les gens , mon coeur . Quelquefois , un soupçon de lueurs bleutées s'insinuait dans l'atmosphère ; et mes souvenirs s'éveillaient . Quel monde avais-je traversé , lorsque cette porte aux allures de mirages était apparue devant mes yeux ? Tout ce que j'avais auparavant désiré était de m'extirper de cet ensemble d'illusions mécaniques , de cette foule , qui m'avait couvert de ses aspects irréels . 

Cette impression de vivre l'imaginaire , l'hallucination m'avait toujours habité , au plus profond de mon être . Lorsque je lisais , je voyageais dans un autre monde ; la pensée à elle seule m'aidait à fuir , une phrase pouvait me prendre dans un étau lointain , un lieu où la foule n'avait jamais demeuré . Moi aussi , je pense que je vivais mécaniquement , pris dans les limites de mon propre univers . Seulement , ce miroir ; qui avait vu mon désarroi , partagé mon sang qui l'avait sali m'avait mené vers un lieu où le rêve n'existait pas . La matière résidait , brute , concrète ; sans fondements . Dans ce nouveau monde , je n'étais pas vide . Mes angoisses se déployaient , affluaient au creux de mon âme brisée , cherchaient l'incompréhensible ; et ces illusions que j'avais quitté . 

La nuit tombait , et mes yeux s'ouvraient ; car le jour me haissait . Mon unique salut était ce calme éthéré  qui rodait , m'enveloppait dans un silence mortuaire . Le seul azur que je perçevais était le bleu qui teintait ce ciel de nuit , pourtant si sombre . Vivre biologiquement . Voilà ce que j'étais . 

Je suis mais ne perçois pas . 

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Je suis x , l'ensemble d'atomes , l'invisible . 

Pourtant , j'existe . J'ai découvert un monde de chair et de substance . 

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" Des concepts sans matière sont vides "  - Emmanuel KANT





Le couloir bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant