Chapitre 1: La Sorcière en violet

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Agatha Harkness descendit les marches de l'imposant bâtiment où se nichait le cabinet de détectives privés Calderu & Harkness , son royaume depuis maintenant cinq ans. Ses talons hauts claquaient avec précision, une cadence parfaitement maîtrisée qui attirait l'attention de chacun dans le hall. Drapée dans son long manteau violet, sa marque de fabrique, elle fendait la foule d'employés sans un regard, telle une souveraine indifférente à la masse grouillante de mortels. Elle n'avait pas besoin de lever la main pour que les autres s'écartent. Le simple bruissement de son manteau dans l'air suffisait à faire reculer ceux qui avaient le malheur de croiser son chemin.

Qu'on la déteste, qu'on la craigne ou qu'on l'admire, il était évident que personne ne restait insensible à Agatha Harkness. On la surnommait « la Sorcière » dans les couloirs du commissariat de police avec lequel elle avait l'habitude de collaborer, comme dans les rangs du cabinet de détectives.

Et elle l'acceptait, presque avec satisfaction, consciente du pouvoir que ce nom lui conférait.

La crainte qu'elle inspirait était un outil, une arme aiguisée qu'elle maniait avec une précision implacable. Elle aimait l'ordre et la maîtrise, et elle en attendait autant des autres.

Pour elle, rien n'était plus insupportable que l'inefficacité, l'incompétence, et la mollesse des sentiments.

À quarante et un ans, elle avait construit sa carrière sur une réputation de froideur et d'excellence.

Divorcée de Ralph Bohner, un homme terne dont elle ne retenait même plus les traits, elle avait tourné la page depuis longtemps, et Nicholas, son fils de sept ans, restait le seul être qu'elle jugeait digne de son affection. Pour lui, elle retrouvait chaque soir une tendresse qu'elle n'offrait à personne d'autre.

Mais dans les murs de Calderu & Harkness, elle était tout autre chose : un requin impitoyable, une justicière infaillible et glaciale, une femme dont l'esprit était aussi affûté que ses répliques.

Arrivée devant l'ascenseur, elle jeta un coup d'œil impatient à son reflet dans la paroi argentée : Ses cheveux bruns ondulés et parfaitement coiffés, le rouge vif de ses lèvres, l'angle précis de son menton relevé : rien n'était laissé au hasard. Elle ajusta machinalement le col de son manteau avant que les portes ne s'ouvrent, révélant un ascenseur vide, comme si l'espace lui-même la respectait assez pour ne jamais oser l'encombrer.

Une fois à l'étage, elle fut accueillie par son fidèle assistant, Billy Maximoff, un jeune homme énergique qui la regardait avec la ferveur d'un disciple face à son maître. Il l'attendait, comme chaque matin, avec son café noir et une liste impeccablement organisée de ses rendez-vous. Agatha attrapa le gobelet sans un mot, ni un merci, ses longs doigts aux ongles parfaitement manucurés effleurant brièvement ceux de Billy, avant de lui faire signe de s'écarter d'un simple mouvement de tête.

« Vous avez trois dossiers à finaliser ce matin, Madame Harkness » dit Billy d'une voix basse, respectueuse « Et demain, le rendez-vous avec les avocats de Caleb Richmond pour la révision du dossier de trafic. »

Elle se contenta d'un léger hochement de tête, glissant un regard perçant en direction de son assistant.

« Assurez-vous que les relevés bancaires de Richmond soient envoyés à temps. Et surveillez l'heure de livraison des preuves. Une minute de retard, et je vous jure que ce sera la dernière tâche que vous aurez à gérer ici. »

Il déglutit et hocha rapidement la tête, disparaissant avant qu'elle ne puisse ajouter quoi que ce soit d'autre. Agatha porta le gobelet à ses lèvres et s'assit dans son fauteuil de cuir noir, croisant les jambes avec une élégance innée. Elle alluma son ordinateur, savourant l'amertume du café – une saveur qu'elle avait fini par apprécier presque autant que celle de la victoire.

Son regard glissa sur les documents empilés sur son bureau. Les pages ordonnées du dossier Richmond lui rappelaient une partie d'échecs déjà gagnée. Les preuves à fournir pour innocenter ce jeune héritier, impliqué dans un trafic de stupéfiants, seraient faciles à mettre en pièces. Elle savait qu'en quelques heures, elle trouverait la faille dans le travail bâclé de la police, des détails que seuls les meilleurs pouvaient repérer. C'était là sa spécialité, son art : traquer l'imperfection dans les failles des autres.

Elle ouvrit le dossier avec une assurance méthodique, ses doigts parcourant chaque ligne de texte, chaque photographie. Elle appréciait ces moments de silence où elle se plongeait entièrement dans une enquête, anticipant chaque mouvement de l'adversaire. Mais elle ne doutait pas une seconde de l'issue : Caleb Richmond serait sauvé, et les inspecteurs qui pensaient pouvoir faire d'un homme riche un coupable facile verraient leurs efforts s'écraser face à elle. Le sourire fin qui effleura ses lèvres en disait long sur sa confiance en elle-même. Elle n'échouait jamais.

Soudain, un bref signal sonore interrompit le silence de son bureau. Une notification venait d'apparaître sur l'écran, un message interne du cabinet. Elle fronça les sourcils, agacée. Une réunion des associées venait d'être programmée dans une demi-heure. L'ordre venait de Lilia Calderu elle-même. Agatha poussa un soupir exaspéré, agitant sa main pour chasser une mèche de cheveux rebelle qui s'était aventurée devant ses yeux.

Une réunion ? pensait-elle, contrariée. Avec Lilia, la co-fondatrice du cabinet et son associée de longue date, les discussions stratégiques étaient rares et généralement brèves, chacune respectant l'efficacité de l'autre. Elles n'avaient jamais eu besoin de bavardages inutiles. Cette convocation inattendue piquait sa curiosité, autant qu'elle éveillait son irritation.

Elle leva les yeux vers l'horloge accrochée au mur d'un gris austère. Elle n'avait pas de temps à perdre dans une réunion stérile.

D'un mouvement fluide, elle referma le dossier Richmond, repoussant l'idée de se concentrer davantage pour l'instant. « Une réunion d'associées » répétait-elle mentalement, s'efforçant de calmer le mécontentement qui menaçait de troubler sa concentration.

Elle glissa à nouveau une main experte dans sa chevelure sombre, redressant son dos dans un geste contrôlé, son expression déjà fermée, prête à affronter tout ce que Lilia Calderu pourrait bien avoir à lui dire.

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