Le Sang des Déchus - Tome 2 : Traîtres [Terminé]

Chapitre 24 - Sauvetage des flammes

Après plusieurs jours de voyage, qui avaient semblé d'autant plus longs à Nigel alors qu'il s'angoissait pour Gaëlan tout en se languissant de sa présence et encore plus pour ses compagnons qui se lassèrent très rapidement de l'entendre se lamenter et répéter ses inquiétudes à voix haute durant des heures, même si Abélianne sut demeurer une oreille compatissante, à croire ce qu'elle savait ce que l'on pouvait éprouver lorsque la séparation avec l'être aimé se faisait douloureusement sentir, les quatre fuyards atteignirent Eluville.
Ils auraient pu y être bien plus rapidement en empruntant le passage de Tikkr'eth, sans compter qu'ils se trouvaient déjà au sein de la capitale, mais ça aurait été beaucoup trop risqué, à l'avis d'Abélianne du moins,car, sans elle, Nigel aurait couru vers le passage, souhaitant retrouver Gaëlan au plus tôt.
Même si il y avait une possibilité pour que leur fuite n'ait pas encore été repérée et signalée, ils étaient des fuyards, encore plus qu'auparavant,et quitter la ville le plus rapidement possible avait été leur priorité mais le passage de Tikkr'eth représentait un trop grand danger, soit car on les y attendait déjà, soit car ils y auraient laissé le départ d'une piste menant jusqu'à eux.
Suivant donc les réflexions d'Abélianne, ils avaient quitté Tikkr'eth par le chemin conventionnel en se dirigeant vers le sud sans prendre le temps de se constituer une réserve de vivres, évitant encore une fois de laisser des témoins de leur passage.
Quelques kilomètres séparaient la capitale de la Forêt de Broliadd, qui leur avait offert suffisamment de gibier pour ne pas manquer de nourriture.Cette fois, Inniël s'était chargé de ce ravitaillement, étant celui qui avait le plus d'expérience et de connaissances lorsqu'il s'agissait d'évoluer sous le couvert des arbres. Ces plusieurs jours de voyage lui avaient permis de terminer de guérir des blessures laissées par les tortures subies et il avait retrouvé une meilleure condition physique.
Abrités par la forêt, ils s'étaient dirigé vers le village de Bourg-Forêt, situé à l'orée sud des bois, en traversant le fleuve Llavey, ce que leur avait pris plusieurs jours de marche.
Malgré le terrain difficile de la forêt partiellement montagneux, ils avaient avancé efficacement sans faiblir, aidés par l'habitude à voyager des trois Déchus et par l'aisance d'Inniël à évoluer en plein cœur de la forêt. La menace d'éventuels poursuivants les avait également poussés à ne pas ralentir mais, heureusement, grâce aux réflexions d'Abélianne, leur piste se révélait floue et on ne semblait pas l'avoir encore remontée.
Une fois à Bourg-Forêt,ils avaient utilisé le passage qui s'y trouvait, abrité dans le sous-sol du bâtiment où officiait l'échevin, et ils étaient réapparus à Evelymme. La capitale de Thamyre se préparait alors à la noce royale qui approchait à grands pas.
Il leur avait ensuite fallu à nouveau marcher durant de longs jours dans les plaines du royaume le long du fleuve D'har et de la chaîne montagneuse d'Orangg jusqu'à Eluville.
La nuit pesait sur la belle cité tranquille alors qu'ils y pénétraient. Peu à l'aise dans un tel environnement, les ayant toujours évités pour leur préférer la forêt, Inniël était néanmoins fasciné par l'élégante architecture typique d'Eluville, bien différente de celles qu'il avait pu voir jusqu'ici, et il traînait légèrement à la suite des autres, observant les rues autour de lui, alors que Nigel courait presque devant eux, en tête de leur petit groupe.
Avant qu'il ne fasse distancer, Torrie saisit le demi-elfe par le poignet pour le tirer à sa suite en lui ordonnant d'accélérer le pas, ne souhaitant pas le semer derrière eux.
Lors des derniers événements, Inniël avait prouvé à ses actuels compagnons d'infortune qu'ils pouvaient compter sur lui dans cette situation précaire et que ses capacités pouvaient leur être très utiles malgré la méfiance légitime qui subsistait à son égard après ce qu'il avait fait à Lysange.
La manière dont il s'investissait à leurs côtés changeait cependant peu à peu l'image qu'ils s'étaient fait de lui au premier abord, tout comme la culpabilité qu'il manifestait lorsqu'il baissait inconsciemment sa garde,mais Torrie et Abélianne continuaient à lui adresser des regards méfiants régulièrement, contrairement à Nigel.
Ce dernier semblait presque avoir oublié l'attaque d'Inniël sur leur sœur, l'aide que leur fournissait le demi-elfe depuis leur capture paraissant suffire à effacer sa rancœur. Le jeune homme appréciait également que le demi-elfe n'ait pas rechigné à venir chercher Gaëlan, à l'inverse de Torrie, comme si lui comprenait la douleur de l'éloignement avec l'être aimé.
Ce n'était cependant pas car elle appréciait le rôle qu'il s'efforçait de tenir dans leur petit groupe que Torrie tenait à ne pas le semer, même si elle devait reconnaître son utilité, mais car laisser un demi-elfe derrière eux n'aurait certainement pas contribué à la discrétion qu'ils cherchaient à conserver.
Sachant Gaëlan tout proche de lui, de plus en plus à chaque pas qu'il effectuait, Nigel ne parvenait plus à garder la mesure que ses compagnons l'avaient plus ou moins obligé à conserver durant le voyage et il ne cessait d'accélérer le rythme en se dirigeant vers la demeure familiale des Souffian, peu soucieux de distancer ses trois compagnons. Heureusement, grâce temps qu'il y avait passé et son aisance naturelle à évoluer en ville perfectionnée par ses activités de voleur, s'orienter dans Eluville ne représentait aucun problème pour lui et il n'avait pas de temps à perdre en cherchant son chemin. Sans compter que son inquiétude pour son amant allait croissant depuis leur entrée dans la cité.
Croisant plusieurs personnes dans les rues, ils captèrent leurs propos et beaucoup parlaient de rumeurs qui circulaient avec de plus en plus de force dans la cité. On racontait que le fils cadet de la bien connue famille Souffian avait pactisé avec les Déchus, jetant l'opprobre sur tout le royaume. D'après l'hostilité que Nigel percevait chez les citadins, il craignait réellement pour la vie de Gaëlan.
Cette peur le poussait à se presser sans penser à ses compagnons derrière lui.
C'était comme si l'ensemble de la ville reprochait sa trahison à Gaëlan, que tous considéraient qu'il s'était détourné d'eux, provoquant un désir de vengeance.
Etrangement, Nigel trouvait qu'il y avait de nombreuses personnes dans le quartier où vivait Gaëlan et sa famille, un nombre anormal de badauds pour l'heure tardive,pourtant, tout paraissait normal lorsqu'ils débouchèrent face à la demeure des Souffian. Quelques lumières discrètes filtraient à travers de rares fenêtres mais la maison semblait majoritairement endormie et silencieuse.
L'observant, Inniël arqua un sourcil, la jugeant bien trop grande pour une seule famille de quatre membres.Pourquoi fallait-il que les humains soient toujours attirés par la démesure, à vouloir toujours plus ? La réponse lui échappait pourtant, lui-même était à moitié humain et désirait quelque chose qui lui était certainement inaccessible.
Le temps qu'Inniël mène ces quelques réflexions, Nigel commençait déjà à contourner la demeure pour s'y infiltrer. Ses connaissances sur la maison, pour y avoir vécu quelques années, lui permettaient d'y entrer sans aucune difficulté, encore plus aisément qu'à l'accoutumée.
Torrie et Inniël allèrent machinalement pour le suivre mais Abélianne les en empêcha, leur barrant le passage de son bras tendu.
Contrairement à Nigel, ils ne possédaient qu'une faible expérience de l'infiltration et ils auraient risqué de le gêner davantage que de l'aider. Par ailleurs, il devait seulement localiser Gaëlan et le faire sortir, ce qui n'aurait dû nécessiter que quelques minutes, alors inutile de compromettre leur discrétion en entrant à plus qu'il n'y avait besoin. Nigel n'était certainement pas le mieux lorsqu'il s'agissait de réfléchir ou de penser mais il n'y avait pas meilleur que lui dans le domaine de l'infiltration et du vol.
Se rangeant à l'avis d'Abélianne, comme bien souvent, tous attendirent Nigel,s'installant à quelques mètres de la demeure, appuyés contre un mur ou assis au sol. Quelques passants tardifs leur jetèrent des regards sans se préoccuper particulièrement d'eux. Personne n'aurait pu soupçonner que deux d'entre eux appartenaient aux tristement célèbres Déchus, avec les oreilles d'Inniël dissimulées sous ses longues mèches rousses, les reflets bleutés de la chevelure de Torrie impossible à remarquer dans l'obscurité et le visage d'Abélianne camouflé sous l'ample capuche de sa capeline noire.
Les minutes s'écoulèrent et l'ennui commença à gagner Torrie, qui s'agitait de plus en plus, alors que Abélianne se demandait pourquoi Nigel se faisait si long, s'en inquiétant. Le jeune homme aurait déjà dû revenir avec Gaëlan sous le bras, surtout alors qu'il connaissait parfaitement l'organisation de la demeure.
La seule explication qu'entrevoyait la jeune femme était que leur compagnon peinait à trouver son amant.
En effet, Nigel n'avait pas trouvé Gaëlan dans ses appartements, qu'il avait découverts vides, silencieux et plongés dans l'obscurité mais parfaitement rangés. Pensant que son amant s'était peut-être installé dans la chambre souterraine qu'il avait occupé pour se sentir plus proche de lui, idée que Nigel jugeait attendrissante, il la gagna en évitant soigneusement le bureau du patriarche où se trouvaient encore Mirondd et Osephe,mais il la trouva tout aussi déserte.
Où était passé Gaëlan ? Serait-il sorti pour une raison ou une autre ? A cette heure de la nuit, cela semblait peu probable cependant, Nigel ignorait quelle autre justification trouver à l'absence de Gaëlan. Son incompréhension se mêlait à son inquiétude grandissante, qui commençait à se muer en panique.
Où pouvait bien être Gaëlan ?Où devait-il chercher ? Que devait-il faire ? Il ne parvenait pas à réfléchir, encore moins que d'habitude.
Soudainement, un son de bris de verre au-dessus de lui dans la demeure le tira de ses pensées affolées.
Que se passait-il ?
Même si il y avait de bien faibles possibilités pour que ce soit le cas, Nigel supposa que cela pouvait avoir un rapport avec Gaëlan et il se pressa de remonter dans les étages.
L'odeur de brûlé l'alerta avant qu'il ne remarque autre chose. Une chandelle serait-elle tombée et aurait-elle enflammée un tapis ou une étoffe quelconque ?
Un nouveau son de verre brisé résonna dans la demeure, non loin de Nigel, et il entendit une clameur s'élever depuis la rue.
Accélérant le pas, Nigel déboucha dans le couloir du premier étage où des flammes léchaient les quelques meubles, laissant les tapis et les tentures en cendres derrière elles. Le regard du jeune homme avisa la fenêtre aux carreaux brisés qui faisait face au départ de l'incendie. De toute évidence, on avait lancé un projectile enflammé à travers, tout comme on l'avait fait à travers d'autres fenêtres.
On s'en prenait à la maison des Souffian ? Pourquoi ? Nigel croyait savoir que la famille avait toujours été appréciée et respectée à Thamyre et encore plus à Eluville.
Cherchant à comprendre ce que tout cela signifiait, Nigel oublia légèrement la situation jusqu'à ce qu'une flamme menace de l'atteindre. Se reprenant vivement, il s'écarta d'un bond puis s'élança dans le couloir mais,plutôt que de se diriger vers une issue, il s'enfonça dans la demeure, qui se faisait lentement envahir par le feu.
Il devait absolument trouver Gaëlan et le faire sortir avant qu'il ne soit blessé.
La panique commença à gagner la maisonnée alors que chacun réalisait peu à peu qu'un incendie dévorait les lieux,certainement un peu trop tard à cause de l'heure.
La fumée emplissait l'espace, rendant la respiration difficile, alors que la chaleur augmentait.
Sans songer à s'en protéger comme il l'aurait pu, Nigel courut à nouveau vers les appartements privés de la famille, ne pensant qu'à retrouver Gaëlan et à le faire sortir de là.
Débouchant dans les étages réservés à la famille, il avisa deux silhouettes au milieu du couloir, l'une gisant à terre et une autre tentant de relever la première en étouffant des quintes de toux. Il fallut plusieurs secondes à Nigel pour les identifier à travers la fumée.
Mirondd était écroulé au sol, certainement victime d'un évanouissement à cause de la fumée et de la chaleur de l'incendie, et Osephe luttait pour le faire revenir à lui, conscient que seule la mort les attendait siils s'attardaient davantage dans la demeure, mais, à en juger parla violente toux qui l'agitait, il n'aurait probablement pas tardé à sombrer dans l'inconscience à l'instar de son père.
Moins affecté par l'environnement, certainement avantagé par sa nature partiellement vampirique, Nigel se précipita vers eux. Osephe eut un mouvement de recul, stupéfait de le découvrir soudainement ici.
Avant que le jeune homme ne formule verbalement sa surprise ou ne questionne Nigel sur sa présence sur les lieux au cœur de l'incendie, toujours plus intense, une langue de feu non loin d'eux atteignit le réservoir d'huile d'une lampe,provoquant une explosion à côté d'eux.
Par réflexe, ils se courbèrent alors que l'incendie redoublait de violence autour d'eux, semblant les enfermer. Comment sortir de là ?
Une langue de feu fusa vers eux, dévorant le tapis sur lequel ils se tenaient. Avant de les atteindre en les blessant certainement gravement, elle stoppa soudainement avant de se diriger dans le sens opposé, les épargnant, chose impossible.
Du moins, elle sembla l'être jusqu'à ce que Nigel avise une silhouette fluette se dressant entre eux et les flammes, qui paraissaient l'éviter.
Grâce à ses pouvoirs de djinn, Torrie parvenait à exercer un certain contrôle sur l'incendie. Elle ne pouvait pas le faire disparaître à la seule force de sa volonté mais elle pouvait un minimum contrôler la direction des flammes pour les empêcher de s'attaquer aux autres, surtout à Nigel.
Depuis l'extérieur, la jeune femme, Abélianne et Inniël avaient remarqué qu'un incendie s'était déclaré au sein de la belle demeure, ils avaient même aperçu un homme lancer un projectile enflammé dans les fenêtres,mais, surtout, que Nigel ne revenait pas.
Craignant que Sang de Vampire soit prisonnier de l'incendie ou ignore comment s'en échapper, ils avaient décidé d'intervenir.
Le corps tendu sous la concentration, les efforts à fournir pour contrôler la trajectoire des flammes autant bien plus importants que ceux qu'elle déployait habituellement pour user de ses pouvoirs, Torrie lança en s'adressant plus particulièrement à Nigel :