Après encore quelques oppositions d'arguments, bien que la majorité d'entre eux jugeait déjà plus judicieux de se reposer sur l'appui d'un puissant allié extérieur, même si ce dernier n'était pas des plus dignes de confiance, les Déchus acceptèrent de suivre Morcia jusqu'au Marchand de Sable, sur l'île de Béathla.
Seule Abélianne continua à manifester son refus d'user des moyens offerts par un trafiquant de rêve irisé, avec une certaine véhémence, ce qui ne lui ressemblait guère. La jeune femme avait bien davantage de taire son avis, surtout si il divergeait de ceux des autres. Cette manière qu'elle eut de farouchement s'opposer étonna ses compagnons et certains comprirent que ça devait particulièrement lui tenir à cœur. Seul Ysandre se doutait de l'étendue de ce qui la dérangeait tant dans cette affaire et savait pourquoi mais il savait également que tenter de s'infiltrer dans le palais royal de Tikkr'eth avec leurs seules connaissances aurait été parfaitement suicidaire, une opinion que partageait le reste des Déchus, y compris Gaëlan.
Il était plus surprenant pour eux de voir Abélianne s'accrocher à son refus de la sorte, elle qui paraissait toujours pencher du côté de la raison, alors que tout indiquait que le plus judicieux dans leur situation était d'accepter l'aide intéressée du Marchand de Sable, mais, face à l'insistance de ses camarades, elle céda.Après tout, elle n'avait aucun argument concret pour convaincre ses compagnons, seulement un traumatisme qu'elle ne se sentait pas capable d'évoquer, et le temps qu'elle gaspillait en s'obstinant dans son refus était un temps qu'ils ne pouvaient pas utiliser pour tenter de libérer Manolis. Par ailleurs, on lui avait toujours appris que ses émotions passaient en second, qu'il valait toujours mieux privilégier la raison, et l'éducation de ses parents dictait encore une partie de sa manière de penser, même si elle cherchait à s'en libérer.
Malgré son avis, elle ne fit pas davantage d'histoire et suivit ses compagnons, silencieuse et les épaules contractées, le sourire lumineux et le contact de la main d'Ysandre ne suffisant pas à chasser toute sa détresse.
Tous ses compagnons cherchèrent à la rassurer en lui affirmant que ce n'était pas car ils acceptaient sa proposition que cela signifiait qu'ils accordaient leur confiance au Marchand de Sable – cette affaire d'alliance et de retour de faveur les poussait tous à la méfiance – pas plus qu'ils ne l'accordaient à Moïra.
Pour une raison ou une autre, la mercenaire et quelques uns de ses hommes les accompagnèrent, peut-être pour s'assurer que les Déchus se rendraient bien à ce rendez-vous ou n'essayaient pas d'échapper à l'accord soumis par le Marchand de Sable par la force,possibilité à laquelle certains avaient effectivement songé,notamment Lysange, Torrie et Nigel. Cette escorte ne contribuait nullement à les détendre et à les persuader de se fier au moins un minimum au Marchand de Sable.
Guidés par la taciturne Morcia, ils utilisèrent le passage de Port Tuath pour se rendre à Zanthyrie, le port le plus proche de Béathla.
L'île fonctionnant sur un système particulier et différent de ce que l'on rencontrait sur les continents, avec ses deux villes, Savanore et Karinga, indépendantes l'une de l'autre, il n'y avait aucun dirigeant qui l'administrait, ce qui expliquait certainement en partie la facilité avec laquelle les trafiquants y implantaient leurs cultures de mélandrie, et Léhodore Cécyly n'avait trouvé personne avec qui s'accorder pour l'installation d'un passage sur Béathla. Certainement était-ce également une façon pour l'île de conserver une certaine indépendance par rapport au reste de Thamarèthe.
Revenir une fois de plus à Reynelsky, même si ce ne fut que pour un bref passage, fit à nouveau formuler des remarques à Nigel, ce dont personne ne se soucia véritablement.
Dès leur arrivée au port, les Déchus et Gaëlan purent déjà avoir un aperçu de l'impressionnante influence dont jouissait le Marchand de Sable : alors qu'aucun navire en partance de Zanthyrie ne se dirigeait vers Béahtla malgré leur proximité, le royaume de Reynelsky étant trop pauvre pour commercer avec l'île qui exportait des produits exotiques uniques à prix d'or, un équipage les y attendait, déjà prêt à lever l'encre pour Béathla, affrété par les soins du puissant Marchand de Sable.
Constater ce dont ce dernier était capable alors qu'un océan le séparait de Zanthyrie les conforta dans l'idée qu'ils avaient besoin de son soutien pour espérer entrer et, surtout, ressortir avec Manolis du palais de Tikkr'eth, même si ça leur déplaisait, à certains plus qu'à d'autres.
Le voyage en mer de quelques jours nécessaire pour rejoindre Béathla et rencontrer le Marchand de Sable aurait pu les pousser à hésiter davantage, représentant une perte de temps peu négligeable,cependant, il n'en fut rien. Au contraire, ce fut même tout l'inverse.
Ces quelques jours leur offraient l'occasion de se reposer encore un peu davantage, ce qui ne pourrait que leur être favorable pour la suite, à la blessure de Lysange de cicatriser davantage et, sur le retour, d'élaborer un meilleur plan d'infiltration grâce aux informations du Marchand de Sable. De ce point de vue, même la traversée en navire représentait un avantage.
Le voyage ne s'avéra cependant pas paisible. Entre la présence de Moïra et de ses hommes, des marins au service du Marchand de Sable ou même celle de Morcia, qui paraissait pourtant plutôt inoffensive, les Déchus étaient entourés d'ennemis potentiels sans personne à qui se fier à part eux-mêmes. Le fait de se trouver sur un navire, dont l'espace était restreint et dont ils ne pouvaient s'échapper augmentait également leur nervosité. La tension sur le bâtiment rendit l'atmosphère lourde et difficilement respirable. Un seul mot, geste ou regard de travers aurait suffi à faire dégénérer la situation.
Heureusement, aucun incident ne se produisit durant le voyage et ils arrivèrent à Savannore sans encombre.
En débarquant, toujours accompagnés par Morcia ainsi que par les mercenaires de Moïra, ils trouvèrent que la ville ressemblait à Zélénith avec son mélange d'architecture provenant des continents et de traditions autochtones.
Les quais en pierres du port, où étaient arrimés les navires les plus imposants, ceux qui transportaient les marchandises vers d'autres ports, étaient faits d'une roche poreuse sombre, légèrement ocre par endroits, qui provenait de l'Isioth, le volcan qui dominait l'île. Ils côtoyaient des quais en bois clair, soutenus par des poteaux qui émergeaient de l'eau et décorés par des guirlandes de coquillages aux couleurs chatoyantes et aux formes étranges qu'on ne trouvait que sur les plages qui ceignaient Béathla. Elles indiquaient les noms des propriétaires des embarcations bien plus modestes, qui y étaient amarrées. En palmes séchées et tressées,elles possédaient une longue forme effilée et étaient juste suffisamment larges pour permettre à un homme de s'y asseoir. Les habitants locaux les utilisaient surtout pour aller pêcher et pas uniquement du poisson mais également des crabes, des crustacés, certains mollusques, des coquillages ou même des algues.
Les bâtiments sur le port ressemblaient grandement à ceux de n'importe quelle cité de Heïllannore ou de Tientinildh à la seule différence qu'ils étaient construits avec cette pierre volcanique si unique,bâtis par les armateurs des continents qui affrétaient les navires marchands ou par des commerçants venus s'établir sur l'île pour chercher fortune, l'essor d'un port provoquant toujours l'installation d'établissements comme des tavernes, des auberges, des maisons closes ou des échoppes d'accastillage.
Dès qu'on s'éloignait des quartiers entourant le port, les bâtiments devenaient plus traditionnels, dépassant rarement un seul étage et avec un escalier extérieur lorsque c'était le cas, avec une base de pierres s'élevant plus ou moins haut, surmontée de mur en torchis à base de terre séchée dans lesquels des coquillages ou même des fossiles d'étranges créatures marines étaient enchâssés. Les toits en pointe étaient recouverts de larges palmes superposées en plusieurs couches pour empêcher les pluies diluviennes des moissons de pénétrer à l'intérieur.
Il n'y avait aucune boutique, toutes les échoppes étaient entièrement extérieures, installées sur des planches qui présentaient les produits à vendre, quels qu'ils soient, nourriture, boisson,vaisselle, produits de soin, vêtements, bijoux, tissus, tout ce qui pouvait être vendu. Ces étales étaient décorés de peintures vives ou de guirlandes de coquillages et leurs propriétaires hélaient les passants. Même les tavernes fonctionnaient sur ce système avec des tables et des chaises placées dans des espaces dégagés, qu'on rangeait dans les petites cabanes de bois qui ponctuaient la ville ça et là. Les boissons qu'elles servaient étaient entassées sur des chariots trainés par les tenanciers.
Les odeurs de nourriture en étaient d'autant plus fortes et se mêlaient à celle d'iode qui montait depuis l'océan. Les spécialités locales étaient des boissons ou des sucreries confectionnées à partir d'une poudre brune qu'on obtenait en broyant des fèves qu'on ne trouvait que sur Béathla, ainsi que des beignets frits et épicés à base de poisson.
Tous ces magasins dépourvus de murs donnaient une étrange sensation de désordre et de désorganisation, à cause de laquelle il aurait été aisé de s'égarer dans les méandres des rues de la cité.
Aucun cours d'eau ne passant à proximité de Savannore, les habitants s'approvisionnaient en eau douce via des puits de pierres sculptées qui représentaient des créatures marines merveilleuses ou imaginaires.
Les natifs portaient des tenues en tissus bariolés aux couleurs vives où les motifs à carreaux revenaient souvent et les femmes portaient des foulards noués en assemblages plus ou moins complexes sur le crâne.
Face à ces explosions de couleurs, il était presque étrange de voir Morcia n'arborer que du noir mais les bijoux de la jeune femme semblaient néanmoins traditionnels à en juger par les larges anneaux, les barres ou les pointes taillés passés dans les oreilles, les lèvres ou les narines des habitants.
La ville paraissait fourmiller et Gaëlan en aurait presque eu la tête qui tournait. Il avait le réflexe de s'agripper à Nigel pour ne pas risquer de se perdre. Le reste du groupe ne paraissait pas tant s'inquiéter de s'égarer et ne se laissait pas distraire par l'activité alentours. Seule Torrie se désolidarisa des autres un instant pour s'acheter de petits poissons trempés dans la pâte et frits qu'elle engloutit avec gourmandise.
Toujours guidés par Morcia, ils traversèrent Savannore pour la quitter en se dirigeant vers le nord-ouest.
La plage de sable clair qui entourait la ville céda la place à quelques champs au milieu desquels apparaissaient des fermes construites avec la même architecture traditionnelle que la majorité des habitations de la ville. Un chemin de terre battue serpentait à travers sur quelques kilomètres jusqu'à s'enfoncer dans la jungle dont les hauts arbres recouvraient presque tout le reste de l'île.
Certains habitants de Savannore s'y rendaient quotidiennement pour entretenir les plantations de cacao qui y poussaient et récolter les fèves, cependant, ils ne prenaient jamais le risque de quitter ce sentier ou de s'éloigner des cacaotiers, contrairement à Morcia.
Se déplaçant entre la végétation touffue aussi souplement qu'un félin, la jeune femme entraîna les autres dans les profondeurs humides de la jungle. Même si tout se ressemblait, elle paraissait parfaitement savoir où elle se dirigeait. A sa suite, Lysange remarqua qu'elle s'orientait grâce à certaines marques laissées sur l'écorce des arbres et qui auraient probablement pu passer pour des griffures d'animaux.
Sang de Guerrier était certainement la plus à l'aise des Déchus, ayant grandi en courant dans la forêt de Lythineth, même si celle-ci s'avérait nettement moins inextricable que cette jungle.La progression de Torrie n'était pas la plus compliquée non plus, la jeune femme profitant de sa petite taille pour se glisser sous les feuillages ou entre les branchages. Ça lui permettait d'aider Abélianne à éviter les racines sur lesquelles elle ne cessait de trébucher. Non seulement la jeune femme ne se trouvait nullement dans un environnement lui étant adapté mais, en plus, elle peinait à se concentrer sur ce qui l'entourait pour esquiver les coups parfois traîtres de cette nature, songeant de plus en plus au Marchand de Sable dont ils se rapprochaient.
Abélianne se débrouillait cependant toujours mieux au cœur de la jungle que Nigel, Gaëlan et Ysandre.
Le premier ne cessait de se heurter aux branchages que les autres écartaient, il s'empêtrait dans les lianes ou les buissons, chutait et perdait régulièrement l'équilibre. En ville, il savait se faire aussi discret qu'une ombre et aussi agile qu'un chat mais, dans les profondeurs de la jungle, il devenait aussi malhabile et pataud qu'un nouveau-né.Heureusement, les quelques plaies qui en résultaient ne représentaient pas un problème pour son métabolisme de vampire.
A cause de cela, sa capuche menaçait souvent de retomber sur ses épaules, exposant son visage aux rayons du soleil filtrant à travers la végétation. Marchant à côté de lui, Gaëlan veillant à ce que l'épiderme sensible de son amant ne soit pas découvert,se précipitant et bondissant parfois pour réajuster sa capuche au dernier moment. Ce faisant, le jeune noble se prenait lui-même des branchages ou y accrochait ses vêtements. Sans compter que, n'ayant jamais quitté Eluville avant de décider d'accompagner Nigel, il n'était absolument pas à l'aise hors de la ville et maîtrisait absolument pas leur environnement actuel. La jungle semblait dotée d'une volonté propre qui se plaisait à présenter des obstacles sur leur chemin ou qui cherchait à les retenir.
Le pire restait Ysandre. Ses deux larges ailes, qu'il ne camouflait plus sous sa cape depuis leur entrée dans la jungle puisque tous parmi leur équipe étaient au courant pour leur identité, se coinçaient dans tous les feuillages, branchages, buissons ou lianes qu'il était possible et, contrairement à Torrie, il ne pouvait tout simplement pas forcer pour se dégager, car il se serait certainement blessé.Plusieurs fois, ils durent s'arrêter pour aider le jeune homme à libérer ses ailes ou, moins régulièrement cependant, ses longs cheveux.
La végétation n'était pas le seul élément de leur environnement qui rendait la progression difficile. L'humidité chaude qui pesait dans la jungle refermait sur eux un étau poisseux et étouffant.Leur poitrine pesait lourd lorsqu'ils inspiraient cet air chargé d'humidité, qui s'avérait d'ailleurs difficile à respirer.La sueur ruisselait sur l'ensemble de leur corps, perlant sur leur front, collant leurs vêtements et détrempant des mèches de leur chevelure qui barrait leur regard.
Le sol en était également détrempé et il leur arrivait fréquemment de glisser, en plus de devoir lutter contre la végétation.
Contrairement à eux, les insectes paraissaient apprécier ce climat. Il en vrombissait tout autour d'eux et ils en traversèrent plusieurs nuages bourdonnants.Certains atteignaient la taille d'une main et passaient en volant à quelques kilomètres de leur visage mais ils n'étaient pas les plus pénibles. Les plus agaçants étaient ceux qui venaient se poser sur eux en se glissant sous leurs vêtements, trouvant toujours un endroit où passer, pour les piquer ou les mordre, leur laissant des boutons qui les démangeaient particulièrement. Ils parvenaient à en écraser certains en se frappant mais pas systématiquement.
L'impatience et l'agacement de chacun augmentaient, plus ou moins rapidement selon le caractère de chacun – Gaëlan étouffait de plus en plus de soupirs alors que Lysange se sentait sur le point de briser la nuque du mercenaire qui avançait à côté d'elle – et ils espéraient que l'aide du Marchand de Sable serait réellement utile et conséquente car ils n'auraient pas supporté d'avoir dû endurer ce trajet pour rien.
Heureusement pour leur ego à tous, les mercenaires de Moïra et cette dernière ne se débrouillaient pas mieux qu'eux au cœur de la jungle.
Seule Morcia paraissait parfaitement à l'aise dans cet environnement hostile. Elle semblait parfaitement savoir quelle branche écarter,où poser les pieds et quel buisson contourner pour progresser aussi facilement que dans une rue entretenue. La jeune femme devait vraiment s'aventurer dans ces profondeurs vertes souvent et ce n'était pas comme les habitants de Savannore ou de Karinga, la seconde ville de Béathla, située plus au nord de l'île, qui s'y rendaient pour les cultures de cacao ou pour voyager d'une cité à l'autre. D'ailleurs, la route qui les reliait contournait la jungle, longeant la plage. Même si le trajet s'en trouvait rallongé, les honnêtes insulaires avaient compris depuis longtemps qu'il valait mieux se tenir éloignés des profondeurs de la jungle pour ne pas risquer d'être témoin de quelque chose qui aurait pu leur coûter très chère. Les mystérieuses disparitions d'habitants de Savannore ou Karinga avaient été nombreuses il y avait des années, avant que tous ne prennent l'habitude de ne pas quitter les sentiers battus.
De l'avis général des Déchus, les locaux ne perdaient pas grand-chose à ne pas se risquer dans les profondeurs de la jungle.En ce qui les concernait, ils s'en seraient bien abstenu. Ils commençaient à en avoir tellement assez qu'ils ne songeaient même plus à l'entrevue avec le Marchand de Sable qui les attendait et ils voulaient seulement arriver à destination pour en finir avec cette jungle.
Heureusement, après quelques heures fort pénibles dans cet environnement humide, Ysandre rassura tous ses compagnons en assurant qu'ils approchaient probablement du but, ce qu'il parvenait à déterminer car il captait plusieurs présences non loin, quelque part dans la jungle. Morcia confirma la sensation d'Ysandre en déclarant à son tour qu'ils arriveraient dans les prochaines minutes.
Presque simultanément à ces deux annonces, une odeur s'éleva de la végétation alentour en leur montant tous à la tête. Ils la sentirent tous avant de voir ce qui la produisait.
Il ne s'agissait pas de l'odeur de la terre détrempée ou de la pourriture qui envahissait certains recoins de la jungle, comme ils avaient déjà pu le constater durant leur marche, mais d'un parfums sucré et doucereux, entêtant.
Abélianne se raidit encore davantage dès qu'il se glissa dans ses narines, le reconnaissant. Certains de ses camarades l'identifièrent également, même si c'était moins sûrement que pour la jeune femme. Cette odeur était celle de la mélandrie.
A en juger par son intensité, la plante prospérait largement dans les environs, certainement aidée par les trafiquants. L'air en était saturé. Ils en avaient une étrange sensation de flottement. Encore une fois, seule Morcia ne semblait pas en être incommodée.
Après encore plusieurs minutes durant lesquelles ils commencèrent à peine à s'habituer à cette odeur entêtante, ils franchirent les derniers troncs et écartèrent les dernières palmes qui leur camouflaient ce que leur odorat avait déjà capté.
Des centaines de lianes violacées foncé tombaient depuis les branchages autour desquels elles s'enroulaient, tombant parfois jusqu'au sol,qu'elles balayaient en y laissant quelques traces, si nombreuses qu'elles formaient de véritables rideaux, voir même des murs, qui obstruaient la vue et dressaient un labyrinthe au cœur de la jungle.S'y orienter devait être tout aussi difficile que dans la végétation ordinaire. Elles étaient parcourues de quelques petites feuilles rondes duveteuses d'un vert foncé mais, surtout, de fleurs à peine plus grandes qu'un ongle composées d'une simple rangée de pétales ronds et blancs parcourus de reflets légèrement irisés. Trois pistils jaunes se dressaient en leur centre.
De la mélandrie.
Un tremblement secoua Abélianne mais elle ne manifesta pas davantage de son mal-être, serrant les dents en s'efforçant de l'étouffer et seul Ysandre le perçut. La main qu'il serra sur l'épaule de la jeune femme l'y aida mais sans parvenir à faire se détendre son corps.
Légèrement étourdi à cause de l'odeur, comme les autres mais néanmoins plus sensible que ses compagnons, Gaëlan se rapprocha instinctivement de Nigel enserrant son bras de ses deux mains. Il était impressionné par cette immense plantation – personne ne s'attendait à ce qu'elle soit si importante – mais également effrayé par ce qu'elle représentait : le trafique de rêve irisé et la violence qu'il engendrait. Il ne l'avait pas pleinement réalisé avant de découvrir la mélandrie ou, plutôt, il s'était mis des œillères, occultant ces détails, comme il l'avait déjà fait en ce qui concernait la vie de mercenaire.
Suivre Nigel l'entraînait ànouveau à côtoyer les sphères les plus sombres de Thamarèthe.
Neralentissant même pas en s'engageant dans les allées de cetteétrange plantation, contrairement aux autres à sa suite, Morciaécarta les lianes pour se glisser de l'autre côté.
Pendantqu'ils arpentaient la plantation à la suite de la jeune femme, ilscroisèrent quelques personnes, certaines étant des natifs deBéathla et d'autres non, certaines s'occupant de la mélandrieou en récoltant les fleurs alors que d'autres semblaient lessurveiller. Morcia échangea quelques hochements de menton aveccertains mais tous dévisagèrent ceux qui l'accompagnaient en seconcentrant plus particulièrement sur les Déchus, ignorant lesautres mercenaires.
Instinctivement, les Déchus se mirent encoredavantage sur leurs gardes que durant le voyage, ayant la sensationd'être encore plus cernés d'ennemis que précédemment. Si ilsauraient certainement pu triompher des mercenaires de Moïra, mêmeen étant moins nombreux, le surnombre devenait réellement écrasantavec les hommes du Marchand de Sable.
A la suite de Morcia,Lysange évaluait déjà lesquels abattre en premier pour fairepencher la situation en leur faveur en casd'affrontement.
Heureusement, malgré la tension encore plusétouffante que l'humidité ambiante, aucun incident ne survintalors qu'ils traversaient la plantation jusqu'à arriver aucentre où se dressait un immense arbre au tronc noueux si large queles Déchus n'auraient pas réussi à en faire le tour de leursbras. Les lianes de mélandrie s'enroulaient autour de ses branchesen tombant jusqu'au sol.
Un homme se tenait devant à vérifierla vigueur de la mélandrie et la qualité des fleurs, leur tournantle dos.
Au raclement de gorge qu'émit Morcia pour signaler leurprésence, il se retourna et leur adressa un sourire un peu tropéblouissant.
A cette expression et avec l'aura qu'ildégageait, tous surent qu'ils faisaient face au Marchand de Sable.
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Le Sang des Déchus - Tome 2 : Traîtres [Terminé]
FantasyAprès que Lysange ait été blessée, mettant sa vie en péril, le groupe des Déchus trouve refuge dans un lieu du passé d'Abélianne, qui dévoile alors certains de ses secrets. Heureusement, ils reçoivent l'aide d'un mystérieux personnage surnommé le Ma...