02 | motus et bouche cousue

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vingt et une heure et quart

Taehyung s'écarta du judas, le cœur légèrement alourdi par une curiosité
mal définie. La silhouette qu'il venait d'apercevoir à travers la lentille était floue, mais suffisante pour lui subtiliser un
semblant de curiosité.

Dans un soupir,
il ouvrit la porte,
à peine.

La main solidement arrimée à la poignée,
il ne laissa qu'un mince espace entre
lui et l'inconnu. Sa prudence lui ordonnait
de garder une distance bien qu'il goûtait à
une certaine confiance. Ses iris s'attardèrent sur le garçon face à lui, il le lorgna de plus bel. Sans gêne. Plus jeune que lui à première
vue – un ou deux printemps d'écart, peut-être.
Il se tenait là, les épaules affaissées
et le souffle en piteux état.

Ses joues creuses, surmontées de cernes,
témoignaient d'une fatigue qu'aucun
sommeil n'aurait pu réparer. Pourtant,
malgré cet air défait, la volonté d'un
sourire y subsistait.

Sa peau de porcelaine semblait faite
pour se fondre dans la blancheur de l'hiver ; si claire qu'elle paraissait héler la lumière
pour la refléter. Et ses mèches, noirs d'une
nuit sans étoiles, encadraient son
visage transpirant.

Il était étrange, ce garçon,
presque irréel. Ses prunelles paraissaient
débordantes d'une jeunesse en mal de vivre,
d'un feu qu'on aurait voulu éteindre mais
qui brûlait encore, en silence. Sa silhouette, quant à elle, était noyée dans des vêtements
trop amples ; fuyait-il un corps sculpté de bonne main ?

Il y avait dans ses traits quelque chose de velouté.

Dans ses mains marquées de
veines, il tenait une boîte en carton que
Taehyung ne distingua que longtemps après que le jeune homme se fût arrêté là, devant lui. Soit, une éternité après l'avoir lorgné.

Le livreur s'avança d'un pas hésitant, son corps
se penchant à peine vers l'entrebâillement du
cadre, ses cheveux guidés du mouvement.
Taehyung se souvint soudain qu'il devait prendre la parole.

— Bon... soir ? prononça le brunet, presque plus une question qu'une
salutation.

— Bonsoir, répondit l'autre, prenant un temps. Euh, pepperonis fromage, n'est-ce pas ? »

Taehyung relâcha la poignée et, dans
un élan de curiosité, ouvrit la porte en grand.
Le livreur se tenait là, toujours aussi flou
dans sa silhouette.

Un doute s'installa comme peau de chagrin.

Il n'avait rien commandé.
Pas un seul repas.
Il n'avait d'ailleurs pas l'intention d'ingérer quoi que ce soit, hormis la fumée de ses cigarettes.

« J'ai votre pizza, monsieur. Y a-t-il
un problème ? »

Taehyung n'eût pas le cœur de retenir
un mince sourire, une petite touche de
dérision effleura ses lippes.

« Je n'ai pas commandé de pizza. Tu dois être à la mauvaise adresse. »

Le livreur leva le regard, perplexe, et, sans quitter son air sonné, il consulta un bout
de papier enroulé et abîmé qui se trouvait
collé à la boîte.

le livreur | tkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant