Les cicatrices invisibles

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La chambre d’hôpital était silencieuse, à peine troublée par le bip régulier des machines surveillant l’état d’Alexandre Ichikawa. Les rayons pâles de la lune illuminaient son visage, marqué par la douleur et l’épuisement. Allongé, les bandages enveloppant son torse témoignaient du sacrifice qu’il avait fait pour sauver Awa.

Elle était là, assise sur une chaise à côté du lit, ses mains crispées sur ses genoux. Ses pensées tourbillonnaient, un mélange d’inquiétude, de culpabilité et de colère. Le visage d’Alexandre, habituellement détendu et charmeur, semblait étrangement vulnérable.

« Tu devrais dormir, » murmura-t-il soudain, sa voix rauque, mais teintée d’une pointe d’humour.

Elle sursauta légèrement, surprise qu’il soit réveillé.

« Et toi, tu devrais arrêter de jouer les héros, » répondit-elle, son ton plus sévère qu’elle ne l’avait voulu.

Un faible sourire étira les lèvres d’Alexandre.

« Quelqu’un devait le faire. »

Elle détourna le regard, incapable de supporter l’intensité de ses yeux malgré leur faiblesse actuelle. « Tu as pris trois balles, Alexandre. Tu aurais pu mourir. »

Il haussa légèrement les épaules, grimaçant de douleur à ce mouvement.

« Trois balles, oui. Mais tu es en vie. Ça en valait la peine. »

Ces mots, dits avec une telle simplicité, brisèrent quelque chose en elle. Elle ferma les yeux, tentant de contenir les larmes qui menaçaient de couler.

« Je ne comprends pas, » murmura-t-elle. « Pourquoi risquer ta vie pour moi ? »

Alexandre la fixa un moment, ses yeux sombres semblant sonder son âme. Puis, il répondit doucement :

« Parce que tu es importante, Awa. Pour cette entreprise, pour ta famille… et pour moi. »

Elle sentit son cœur se serrer, mais elle refusa de céder à l’émotion. Il y avait trop de choses en jeu, trop de questions sans réponse.

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Plus tard dans la nuit, alors qu’Alexandre s’était rendormi, Awa sortit de la chambre pour appeler son père. Elle s’éloigna dans un coin du couloir, loin des regards indiscrets.

« Papa, je dois savoir qui a envoyé ces hommes, » dit-elle, sa voix basse mais urgente.

Amadou Diakité, toujours imposant malgré les années, soupira à l’autre bout de la ligne.

« Je suis déjà sur le coup. Nos informateurs enquêtent, mais je ne serais pas surpris que ce soit Lorenzo ou Edgar. Ces hommes n’ont jamais supporté que nous soyons à leur niveau. »

Awa serra le téléphone, sa mâchoire se contractant.

« Alors il est temps de leur montrer qu’ils ne peuvent pas nous éliminer. »

Un silence suivit, puis son père répondit avec gravité :

« Fais attention, Awa. Ce monde est plus cruel que tu ne le penses. »

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Le lendemain, Awa se rendit au siège de Lycoris Technologies, déterminée à agir. Les couloirs impeccables de l’immeuble semblaient étrangement calmes, presque trop calmes. Chaque employé qu’elle croisait baissait les yeux, comme s’ils sentaient que la tempête grondait.

Lorsqu’elle entra dans la salle de réunion, Lorenzo et Edgar étaient déjà là, assis côte à côte. Lorenzo, vêtu d’un costume impeccable, lui lança un sourire narquois.

« Awa, tu es là. Nous discutions justement de la sécurité de l’entreprise. Tu as eu des ennuis récemment, il paraît ? » dit-il, son ton mielleux masquant à peine son mépris.

Elle ne répondit pas immédiatement, s’asseyant à sa place avec une lenteur calculée. Puis, elle planta son regard dans celui de Lorenzo.

« Je crois que tu sais très bien ce qui s’est passé. »

Le sourire de Lorenzo vacilla un instant, mais il se reprit rapidement.

« Accuser sans preuve, c’est dangereux, ma chère. »

Edgar intervint, son ton glacial.

« Ce qui est dangereux, c’est de laisser les émotions brouiller ton jugement. Nous avons des affaires à régler ici, pas des vendettas personnelles. »

Awa les laissa parler, leurs mots glissant sur elle comme de l’eau sur du verre. Mais à l’intérieur, elle bouillait. Elle savait qu’ils étaient impliqués, même si elle n’avait pas encore les preuves pour les confronter directement.

« Très bien, » finit-elle par dire. « Parlons affaires, alors. »

Elle sortit un dossier de son sac et le posa sur la table avec force. Les deux hommes se penchèrent, intrigués.

« Ce sont les plans de diversification que nous avons proposés il y a trois mois. Vous vous souvenez, n’est-ce pas ? Vous les avez rejetés. Eh bien, j’ai pris la liberté de réviser certains points. Si nous les appliquons, nous pourrions non seulement récupérer nos pertes, mais aussi doubler nos parts de marché. »

Lorenzo éclata de rire.

« Tu crois vraiment que ta petite révision va sauver l’entreprise ? »

Awa le fixa, imperturbable.

« Si vous avez une meilleure idée, je suis toute ouïe. »

Le silence qui suivit fut plus éloquent que n’importe quelle réponse.

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Alors qu’elle quittait la réunion, un sentiment de triomphe naissant dans sa poitrine, elle croisa Alexandre, qui avait insisté pour revenir travailler malgré ses blessures.

« Tu aurais dû rester à l’hôpital, » dit-elle en s’approchant de lui.

Il haussa les épaules, une habitude qu’il ne semblait pas pouvoir abandonner malgré la douleur.

« Et manquer tout ce divertissement ? Hors de question. »

Un sourire, pour la première fois depuis des jours, apparut sur les lèvres d’Awa. Mais avant qu’elle ne puisse répondre, un cri retentit dans le hall.

Ils se tournèrent pour voir un groupe de journalistes se précipiter à l’entrée, leurs caméras et microphones braqués sur Lorenzo, qui descendait les marches.

« Monsieur Moretti, que pouvez-vous nous dire sur les récents incidents ? »

« Est-il vrai que la sécurité de Lycoris est compromise ? »

Lorenzo esquiva les questions avec une aisance irritante, un sourire publicitaire collé au visage. Mais alors qu’Awa l’observait, elle remarqua quelque chose. Une lueur dans son regard, une expression fugace qui trahissait un mélange de fierté et de défi.

Elle comprit à cet instant que Lorenzo ne se contentait pas de comploter dans l’ombre. Il préparait quelque chose de bien plus grand.

Et cette fois, elle devait être prête.

Les Héritiers du SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant