L'Artisan

Chapitre 1

La pluie tombait en silence sur le béton craquelé, noyant la lumière des réverbères dans une lueur trouble. Grace Rooney avançait d'un pas mesuré, son regard passant rapidement d'un côté à l'autre de la ruelle. Sa main tremblait légèrement autour de la lampe torche qu'elle tenait, mais elle refusait de s'arrêter. Les ombres semblaient s'étirer, s'étirer jusqu'à la toucher, mais ce n'était qu'une impression. Du moins, elle s'en persuadait.

C'était là que tout avait commencé : cette ruelle, cette nuit.

Elle s'arrêta devant un tas d'ordures bordant le mur, fixant les contours d'un graffiti qui s'effaçait sous l'eau. Une simple lettre avait survécu, rouge et sinistre : un « A » peint à la hâte.

— Grace ?

La voix du lieutenant Ryan Lynn dans son oreillette la fit sursauter. Elle porta une main à son oreille et murmura :

— Je suis sur place. Rien pour le moment.

— Il est là, Grace, répondit Ryan avec une gravité glaciale. On l'a vu entrer. Ne fais rien d'imprudent.

Elle inspira profondément, tentant d'ignorer le tambourinement de son cœur. Depuis des mois, Alyster, surnommé « l'Artisan », la hantait. Pas seulement parce qu'il avait laissé derrière lui une série de scènes de crime tordues, mais parce qu'elle savait qu'il jouait avec eux. Et ce soir, tout dans cette traque semblait trop parfait, trop orchestré.

Grace avança encore. Une porte de métal rouillée se dressait au bout de la ruelle, entrouverte. Une fine ligne de lumière passait par l'interstice, vacillante comme une chandelle. Elle posa la main sur son arme.

Elle était seule.

En entrant, elle fut frappée par une odeur âcre : sang, métal et humidité. La pièce était un ancien atelier, des outils suspendus au mur, tous recouverts de poussière. Mais l'un d'eux manquait. Une scie.

— Lieutenant, murmura-t-elle dans l'oreillette. J'ai un mauvais pressentiment.

— Reste calme. On arrive. Dans deux minutes.

Deux minutes ? Il pouvait faire tellement de choses en deux minutes.

Soudain, un bruit. Un grincement métallique, suivi d'un souffle léger. Elle fit volte-face, balayant la pièce de sa lampe torche. Une silhouette se tenait là, à quelques mètres, juste en dehors de la lumière.

— Grace Rooney, dit une voix, douce, presque chantante.

Alyster.

Il s'avança lentement, laissant la lumière révéler un visage fin, encadré de cheveux sombres plaqués par la pluie. Ses yeux brillaient, mais ce n'était pas de la folie qu'elle y voyait. C'était du contrôle.

— J'espérais que ce soit toi, murmura-t-il en souriant légèrement. Les autres sont tellement... prévisibles.

Grace recula d'un pas, la main toujours sur son arme.

— Ne bougez pas. Mains en l'air, maintenant !

Il éclata de rire. Pas un rire bruyant ou hystérique, mais un rire discret, comme si elle venait de confirmer une pensée qui l'amusait.

— Tu n'as pas encore compris, n'est-ce pas ? C'est toi que je veux ici. Pas eux. Pas Ryan. Toi.

Son souffle se coupa. Chaque fibre de son être lui hurlait de courir, mais ses jambes refusaient de bouger. Il fit un autre pas, la lueur de sa lampe torche glissant sur quelque chose dans sa main. La scie manquante.

— Tout ceci, reprit-il en désignant la pièce d'un geste ample, ce n'est pas un piège pour toi. C'est une invitation.

Les sirènes au loin se rapprochaient. Alyster recula lentement, disparaissant presque dans les ombres.