Chapitre 2

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Je pousse la porte de la maison, l'air est déjà lourd de cette atmosphère qui m'est familière, mais que j'espère changer à chaque fois. Comme si du jour au lendemain, mes parents auraient changé et reviendraient pour qu'on passe du temps ensemble. Pour qu'on soit une famille. Mais non, on est dans cette maison depuis ma naissance, enfin je dis "on" mais je pourrai tout aussi bien dire "je" puisque mes parents ne sont jamais à la maison et ça n'a jamais changé. Enfin ils le sont uniquement quand ils ont besoin de faire des pauses de boulot, ce qui est très rare.

Quand j'étais petit, je trouvais ça incroyable que mes parents aient monté leur propre boîte ensemble. Surtout que ça fait super bien, dans une présentation devant les copains de dire que nos parents sont des consultants internationaux et qu'ils voyagent dans tous les pays pour réaliser des missions pour des entreprises prestigieuses. C'était un peu comme si mes parents étaient des aventuriers modernes, toujours à la conquête du monde. Mais en grandissant, j'ai vite compris que ce n'était pas aussi excitant que ça en avait l'air. Les voyages et les réunions interminables leur laissaient peu de temps pour s'occuper de moi. Ils avaient plus de passion pour leurs contrats que pour leur propre fils. Et ça n'a jamais changé depuis.

Et puis, travailler avec son partenaire, ce n'est pas que des bons moments. Les disputes, qu'ils ne pouvaient pas se permettre devant leurs employés, éclataient en rentrant. Résultat, dès qu'ils ont estimé que j'étais en âge de me gérer seul, ils partaient tous les deux, revenant tous les trois mois. Moi, j'étais là, à naviguer entre les silences, les repas pris en solitaire et les appels refusés. Je n'avais jamais été une priorité pour eux. Au fond, je crois qu'ils auraient préféré rester tous les deux sans enfant. Mais je n'ai jamais demandé à naître, et c'est moi qui paye les pots cassés.

Pourtant, je m'y suis habitué. On pourrait penser que grandir avec des parents qui ne sont jamais là, ça rendrait les choses plus compliquées, mais au final, c'est devenu la norme. J'ai une grande maison pour moi tout seul, tout le confort que je pourrais espérer, et de l'argent pour tout ce dont j'ai besoin. Ils me versent chaque mois de quoi vivre confortablement, comme si un virement pouvait compenser tout ce qu'ils ne sont pas là pour offrir. Mais cet argent-là, ne pourra pas remplacer tout le reste.

J'avance donc dans le couloir, laissant mon sac dans l'entrée, et je lève les yeux en entendant des voix s'élever dans la cuisine. C'est la seule chose qui ne change jamais quand ils sont là. Les portes qui claquent, les voix qui montent jusqu'à pas d'heure. Les reproches et les frustrations qu'ils refoulent quand ils sont en mission ressortent dès qu'ils franchissent le seuil de la maison, mais leur couple tient malgré tout. Ils sont juste comme ça.

Je m'arrête, hésitant, puis je continue d'avancer. Je les aperçois au milieu de la cuisine, penchés l'un vers l'autre dans un face-à-face tendu. Ma mère est accoudée au plan de travail, les bras croisés, le regard noir ; mon père est planté devant elle, les poings serrés. La scène est trop familière, à tel point qu'elle en devient presque mécanique.

Quand ils remarquent enfin ma présence, ils se taisent un instant. Ma mère me lance un bref "Bonjour" sans même un sourire, et mon père acquiesce de la tête, distrait. C'est tout. Pas de "ça va ?", pas de "comment était ta journée ?" ou même de signe d'intérêt pour moi. J'aurais pu être un étranger qui vient d'entrer dans leur cuisine, la différence aurait été minime. Peut-être qu'ils m'auraient sûrement foutu dehors.

Sans un mot de plus, je tourne les talons et monte les escaliers en silence jusqu'au deuxième étage, là où se trouve ma chambre. Au départ, ce n'était même pas une chambre ; c'était le grenier, que j'ai réaménagé pour en faire mon espace. Ça m'a pris un moment pour tout organiser, mais au final, j'ai réussi à en faire un endroit à mon image qui me permet de respirer un peu. Enfin, respirer, c'est un grand mot. C'est surtout un endroit où je me cache. C'est là que je vais m'enfermer quand tout devient trop lourd à porter, quand la réalité de ma situation me frappe en pleine face.

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⏰ Dernière mise à jour : 7 days ago ⏰

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