Art

3 1 1
                                    


Dans mes quartiers, l'accueil se fait sous les regards inquiets de mes soldats, qui, d'un commun accord, expirent lourdement leur agitation en constatant que leur régente va bien. Isidora, avec un geste rapide, ôte la cape alourdie par la crasse et retire mes escarpins imbibés, avant de se faufiler dans la salle de bain, tout en m'adressant un clin d'œil amusé. Mes orteils savourent la chaleur de la pièce, s'enfouissant dans la douce laine du tapis au pied de la porte. Mon refuge, douillet et intime, accueille quelques brindilles et feuilles chapardées durant le trajet acrobatique. Je demeure sur le seuil pour ne pas souiller inutilement mes appartements et alléger la tâche des domestiques par ma négligence.

Décidément, le caractère joyeux et espiègle d'Isi s'épanouit de plus en plus depuis notre départ de Nostria, au point où j'imagine la réaction d'Obéron face à ces nouvelles facettes de cette fleur rayonnante. Lui qui, à ses débuts, ne cessait de déplorer la rigidité professionnelle de ma femme de chambre, et m'exhortait à lui ôter le manche coincé dans l'un de ses orifices pour qu'elle daigne venir à l'une de ses soirées de débauche. À l'époque, je l'avais sévèrement rabroué pour ses propos déplacés, mais j'avais tout de même transmis l'information à Isidora, qui était libre de disposer de son temps comme bon lui semblait. 

- Je tiens tout d'abord à vous présenter mes plus plates excuses.

- Que vous est-il arrivé votre Altesse ? Nous vous attendions dans la salle de réception lorsqu'un des fils Karthani a débarqué auprès de la Reine pour annuler le banquet. Nous sommes immédiatement revenu ici, à votre recherche. Votre escorte sinkrofienne nous a indiqué que vous vous étiez volatilisée et depuis nous avons écumé tout le domaine, guidés par nos pairs. 

- En effet, la cadette des Karthani, Réna, était portée disparue et mon pouvoir m'a amené dans la ville même. 

- Vous vous êtes rendus dans la capitale, seule ? murmurent en même temps les trois soldats, stupéfaits par mes révélations.

- C'est pour cette raison que j'ai commencé par m'excuser avoué-je honteuse d'avoir causé autant de tracas à mes alliés.

Un tourment qui s'enracine dans le fondement même de nos relations hiérarchiques. Si je n'avais pas été leur souveraine, m'auraient-ils cherché avec autant de fougue ? Cette question n'a pas de sens. Mes relations ont toujours été teintées de cette fatalité royale : protéger la couronne avant tout, peu importe sur quelle tête elle repose. À l'exception d'Obéron, qui a mis mon statut au second plan, pour mon plus grand bonheur, mais aussi pour ma plus grande misère lorsqu'il me confronte à mes actes, comme personne d'autre ne se le permettrait, concernant mes nombreuses erreurs. 

-L'important c'est que je sois indemne et durant mon escapade, j'ai pu soutirer des informations à la plus jeune des Karthani. Leur pouvoir leur permet de détecter n'importe quelle personne qui se trouve dans un périmètre restreint donc restez sur vos gardes, sans mauvais jeu de mot tenté-je vainement de détendre l'atmosphère auprès des trois soldats. Je n'ai pas encore pu déterminer sa portée. Mais peu importe, le souverain m'a également confié une mission sur ces terres

- Nous sommes déjà au courant, votre Altesse. Et la nôtre est de vous épauler à démystifier les trafics maritimes en cours.

Bien sûr, ils ont été avisés des quantités suspectes de cargaisons transitant par Sinkrof. À vrai dire, je suis convaincue d'avoir été la dernière informée. Mais puis-je réellement en vouloir à mon père étant donné le peu d'implication dans l'aspect militaire, que m'a imposée cette double gouvernance ? Mon égo ne devrait pas être ébranlé pour si peu, car je suis convaincue que le régent ignore tout de mes agissements dans le quartier Sud de Nostria, au pied du Mont Atroxe, y compris l'installation d'un hospice de fortune. Ce dernier est établi depuis plus d'un an et dispense les soins élémentaires, à tous ceux qui résident dans ce quartier mal famé, sans aucunes obligations pécuniaires. Mon complice, bras droit, se charge d'approvisionner cet établissement de fortune grâce aux pièces d'argent que je lui confie.

Ombre solitaire [Dark Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant