Je marchais dans la rue, quelque peu stressée. C'était une froide journée d'hiver, le vent soufflait, les flocons de neige interprétaient une danse tourbillonnante et les gens s'emmitouflaient dans de chaudes vestes. Je m'apprêtais à tourner le coin de rue, quand les gens que je voulais le moins rencontrer, se montrèrent.
Une équipe de journalistes arriva et m'entoura, ne me laissant pas d'issus pour m'enfuire. Et ils avaient l'air bien décidés. Cette fois, je ne pourrai pas m'échapper.
Mince! Zut! Et je passe le flot de jurons dans un bon nombre de langues que je prononçai silencieusement.
Pourquoi fallait-il qu'ils viennent à ce moment précis? Ils vont tout gacher cette bande de... d'abrutis! Et en plus ils ont les caméras, je suis fichue! Il n'y a même pas de mots pour définir ma haine contre eux!
《Alors, Adriana Kwesela, vous pensiez passer inaperçue? Pourquoi vous cachez-vous? Est-ce à cause de l'affaire Kwesela?》
Keselwa! Mon nom de famille c'est Keselwa! Imbécile!
J'essayai de me calmer avant de prendre la parole. Cela pris deux bonnes minutes. Pendant lesquelles, les questions fusèrent. À tel point, que je sus plus où donner la tête. La tête dans laquelle une migraine commençait à pointer le bout de son nez. Je me décidai à prendre la parole.
《Écoutez, je n'ai pas le temps de répondre à vos questions. Alors je vous prierais de bien vouloir me laisser passer. Merci, bonne journée.》
Ils s'écartèrent à contre-coeur, deçus.
Puis un lança:
《Maintenant, nous vous laissons passez, mais ce ne sera pas le cas pour les prochaines fois.》
Je partis sans daigner me retourner. Il n'en vaut pas la peine. Rectification: ils n'en valent pas la peine. Je n'aime pas les journalistes car ils mettent leurs nez partout. Ils nous suivent, mon mari et moi, enfin... ils suivaient mon défunt mari et ils me suivent toujours. Chaque matin, chaque midi, chaque soir, chaque fois que je sors dans la rue, ou même ailleurs, ils viennent et posent leurs éternelles et lassantes questions. Il y a quelques années encore, au début de ma carrière, j'y répondais. Mais quand j'ai rencontré Ril, mon mari, il m'a appris à répondre qu'en cas de nécessité. Malheureusement, les journalistes sont tenaces, et ils reviennent encore et encore, sauf évidemment, le seul moment où j'avais besoin d'eux.
Personne n'a vu le meurtre de Ril. Ce jour là, ils n'étaient pas là, mystérieusement. Bon, c'est que là, il n'y aurait pas forcément dû y en avoir beaucoup, puisque c'était un rendez-vous en "forêt" (je ne sais pas pourquoi c'était là, mais c'est où il a été retrouvé) et que c'était secret, ultra-secret même, parce que je n'en étais pas au courant, en fait, personne ne le savait. Mais il n'empêche que je suis persuadée qu'un journaliste a vu la scène, le problème, c'est que c'est mon instinct qui me le dit, je n'en ai aucune preuve, et sans preuve, je ne vais pas aller bien loin.
Bref, il faut que je me dépêche, j'ai rendez-vous dans 10 minutes cinq rues plus loin. Dans une ville normale, ce serait plutôt assez simple d'aller cinq rues plus loin en 10 minutes.
Mais à Paris, il y a beaucoup plus de monde, surtout en ce moment, c'est bientôt Noël, alors tout le monde court les boutiques pour acheter des cadeaux. Du coup, c'est la folie.
17:53, plus que 7 minutes et encore quatre rues. Oui, c'est vrai, je pourrais prendre un taxi, ou même une limousine, j'en ai largement les moyens. Mais certains journalistes ont aussi les moyens de payer le taxi dans lequel j'irais, pour se cacher dans le véhicule et me noyer dans les questions.
J'entendis un coup de klaxon et tournai la tête, car visiblement, il m'était adressé. Ah, ben tiens, quand on parle des loups. C'était un taxi, alors je refusai malgrès son insistance. Et j'ai bien fait, car une cinquantaine de mètres plus loin, il s'arrêta et un jounaliste en descendit. Je me cachai alors derrière une personne corpulente, et il ne me vit pas passer à coté de lui. Je pouffai intérieurement, quel nigaud!
17:58, encore une rue. Ça devrait être faisable. Je pressai le pas. Pas question d'arriver en retard!
18:00, j'entrai dans l'énorme et luxueux bâtiment et me dirigeai directement à l'accueil.
《Bonjour, je suis Adriana Keselwa et j'ai rendez-vous pour un shooting photo.
-Oui, je regarde dans l'ordinateur. Dofen?》
Un jeune homme habillé chichement vint se poster près de la récéptioniste, me faisant au passage un baise-main.
《Bonsoir, ravi de vous revoir Mme Keselwa.
-De même Mr Jaliva.
-Auriez-vous l'aimabilité de me suivre?
-Bien évidemment.》
Nous traversâmes le somptueux hall d'entrée. Il y avait environ une quinzaine de tableaux. Un capta mon attention. C'était bien ce que je croyais?
Le meurtre s'est passé il y a 5 jours, donc un lundi, le mardi le corps a été découvert et la presse a été informée, le mercredi la nouvelle apparaissait dans les journeaux et aujourd'hui, son portrait était accroché avec les autres mannequins les plus connus au monde entier? Il avait fallu seulement 2 jours au peintre pour composer une oeuvre aussi belle?
《Vous avez accroché un portrait de mon mari?
-Oui. Il fallait qu'il repose aux cotés de ses égaux.
-Je... merci.》
J'avais dit ce dernier mot dans un murmure à peine audible, mais je crois que Mr Jaliva en a compris le sens. Mes yeux piquotaient, je sentais les larmes venir, menacer de couler le long de mes joues. J'essayai de le cacher au jeune homme à coté de moi, par pudeur, même si je crois qu'il le remarqua, mais il n'en fit certes pas la remarque. Je le remerciai intérieurement en m'enfonçant un peu plus dans mon écharpe, pour que personne d'autre ne le remarque. Je ravalai mes larmes, je ne pouvais pas me permettre de pleurer, pas maintenant, alors que beaucoup de vedettes sont ici, et surtout, Christian Dior, la célébrité, que penserait-il de moi? Que je suis faible, voilà ce qu'il penserait de moi. Et surtout, j'étais venue pour un shooting.
Même si les photos étaient retouchées, il ne fallait pas me laisser aller, car mes yeux deviendraient rouges. Ceci m'acheva de ravaler mes larmes. Juste à temps, car nous arrivions en vue du studio de photos. Mr Jaliva m'ouvrit la porte et me désigna l'entrée en parfait gentlemen. Je franchis le seuil et fus éblouie par un spote qui se dirigeait contre moi.
《Oh, excusez-moi Mme Keselwa, ce n'était pas volontaire, vraiment, je suis désolé!》
Ce devait être un apprenti, car je ne l'avais jamais vu auparavant. Un certain Tuz Klays.
《Pas de problème Mr Klays.》
Le soulagement intense qui se lut sur son visage me fit relever la commisure des lèvres en un bien mince sourire.
Mr Dior apparut.
《Bonsoir Adriana. Êtes-vous prête?
-Bonsoir Christian. Oui.
-Parfait! Jessica, Kini, Fleuy?》
La maquilleuse, l'habilleur et le coiffeur arrivèrent prestement, et dirent en coeur:
《Nous sommes là.
-Occupez-vous d'Adriana.》
Ils m'entraînèrent dans une salle adjacente. J'y étais déjà allée plusieurs fois, puisque que j'avais déjà fait des shooting pour Dior. Aujourd'hui, c'était pour un nouveau parfum. Normalement, Ril aurait dû représenter le même parfum, mais pour homme. Mais comme il est mort, c'est quelqu'un d'autre qui le remplace: Kyle Aeri. Ç'a toujours été la guerre entre nous, car il est jaloux. Mais maintenant, il est bien content que Ril soit mort. Je le soupçonne d'être le meurtrier. J'en ai fait part à la police, mais les policiers m'ont dit que Kyle avait un alibi: Kera Jons était avec lui au moment du meurtre.
Bref, je fus prête en à peine 10 minutes.
Le reste du shooting se passa dans une ambiance un peu décontractée et vers 20:30, j'étais de retour chez moi.
Je me préparai à manger et engloutis tout d'une traite, je mourrais de faim. Ensuite, j'allai à la salle de bain et me brossai les dents. Ce soir, je devais me coucher tôt, car demain à 10:00, il y avait l'enterrement. Pourquoi un samedi à 10:00? Parce que c'est un samedi à 10:00 que nous nous sommes rencontrés Ril et moi. J'avais déjà tout préparé: mes habits, un longues robes noire avec un manteau noir lui aussi, les chaussures, accordées avec le reste, un chapeau à voilette et la montre qu'il m'a offerte cette année pour nos 10 ans de mariage.
Je m'apprêtais à me mettre au lit, quand mon téléphone sonna.
Qui pouvait bien appeler à cette heure-ci? J'hésitai à répondre, mais je le fis quand même, c'était peut-être important.
《Adriana Keselwa, j'écoute.
-Bonjour Adriana.》
C'était une voix doucereuse que mon esprit me soufflait avoir déjà entendue. Je regardai le numéro. Masqué. Mince! Je voulus lui demander qui il était, mais il me pris de vitesse.
《J'aimerais que vous fassiez quelque chose pour moi.
-Quoi comme?
-J'aimerais que vous alliez dans la "forêt" qui borde les jardins du luxembourg.
-Non! Il en est hors de question!
-À plus tard.》
Il avait raccroché. Il voulait que j'aille là où mon mari avait été assassiné. Était-ce le meurtier? Tout à coup, je sursautai, j'entendis la même que celle de l'homme qui a téléphoné. Je me retournai vivement pour voir... la télé allumée. J'avais oublié de l'éteindre. À l'écran apparaissait...
Kyle Aeri?!
《Achetez le nouveau parfum Dior pour homme.》
Il avait prononcé les quatre derniers mots de sa voix doucereuse.
C'était décidé, j'irais au rendez-vous pour mettre les points sur les i. Mais pas sans avoir fait quelque chose avant. Je pris un papier et un stylo et écrivis deux mots:
《Kyle Aeri》
Ainsi, les policiers sauraient qui a tué Ril et... sûrement moi aussi.
Je mis une veste, fermai la porte à clé et sortis dans le vent glaciale qui s'était levé.
Je marchai quelques minutes, luttant contre la morsure du froid, pour arriver à destination, enfin.
Ne voyant personne, je m'avançai dans la "forêt". Des bruits de pas me firent me retourner brusquement.
《Oh, je vois que vous êtes venue finalement.
-Que me voulez-vous?
-La gloire et celle de Kera.
-Vous avez l'air de bien la connaître. C'est pour ça que vous voulez me tuer, c'est pour elle?
-Vous êtes maligne, pour une fois.
-Mais vous êtes fichu, même si vous me tuer ce soir, vous et votre petite copine vous finirez en prison.
-Oh non, ça je ne crois pas. Personne me le sait.
-Je vous aurai prévenu.》
Je pris une expression terrorisée en regardant derrière lui en mettant la main sur ma bouche. Le traquenard fonctionna, il tourna la tête, de quoi me laisser le temps de lui décocher un bon coup de poing qui le fit s'étendre par terre. Il cria de rage et de douleur, se releva et chargea. Cette fois-ci, ce fut à moi de mordre la poussière. Je lui mis un coup de genou dans le ventre qui le fit se plier en deux, et enchaîna par une giffle à l'oreille, destinée à le rendre sourd temporairement. Mais il s'en remit vite et me fit rouler et m'écraser contre un arbre. Malheureusement pour lui, plusieurs kilos de neige dégringolèrent sur lui. J'en profitai pour m'éclipser. Manque de chance, dans la précipitation, je me trompai de sens et m'enfonçai encore plus dans la "forêt". Je continuai à courir jusqu'à enfin arriver en vue de la lisière. Mais je ne vis pas l'énorme racine et m'encoublai. Je tombai tête la première dans la neige. Le froid mordit mon visage. Je me retournai et essayai de me relever. Je me rendis vite compte, à mon grand désarroi, que ce serait impossible. Dans ma chute, je m'étais tordue la cheville. Je songeai à m'aider des arbres pour fuir Kyle. Mais il était trop tard, je l'entendais se diriger vers moi, et déjà, il apparaissait.
《Tu croyais m'échapper? Tu es vraiment naïve, autant que ton mari!》
Je serrai les dents pour éviter de répliquer, car je n'étais vraiment pas en position de le faire. Malheureusement pour moi, il était tenace et bien décidé à me faire craquer.
《Alors, tu as perdu ta langue? Tu ne veux pas répondre? Tu as peur n'est-ce pas? Tu voudrais que ta mort soit douce? Ah! C'est dommage, parce qu'elle ne le sera pas, il faut que tu paies pour ce que tu as fait. Tu as pris la place de Kera, et ton mari la mienne. Mais lui as déjà payé. Bientôt, toutes les marques voudront de nous, nous serons les plus grands et magnifiques mannequins de toute l'histoire!
-Bientôt, vous serez en prison!》
Je n'avais pas pu résister à la tentation de lui répondre. J'allais sûrement en payer le prix. Mais la seule chose qu'il se contenta de faire, fut de rire, mais ce fut un rire glacial.
《Bon, ça suffit maintenant! Passons aux choses sérieuses.》
Il brandit un revolver et le braqua sur moi. Je soutins son regard. Je mourrai digne. Tout se passa très vite, une détonnation retentit, une énorme douleure à la poitrine, le souffle qui manque, puis, plus rien...
Enfin si, les sirènes des voitures de police, mais il était déjà trop tard...