Respire

Chapitre 2

Ce qui venait de se produire dans les vestiaires n'était pas réellement arrivé…

N'est-ce pas ?

— Hé Taehyung !

Il devait sûrement s'agir d'une énième illusion, d'une vulgaire hallucination montée de toute pièce par son cerveau, car putain…

Quelqu'un ne pouvait pas réellement l'avoir vu dans cet état.

— Bah, où est-ce que tu vas comme–

La voix de son coéquipier – qu'il n'arriva pas à identifier – se fit rapidement étouffée par les écouteurs qu’il enfonça maladroitement dans ses oreilles. Le pas aussi rapide et irrégulier que les battements de son cœur, Taehyung déverrouilla tant bien que mal son téléphone, qui manqua plusieurs fois de lui échapper, pour y ouvrir l'application de musique où son pouce appuya sur la playlist intitulée "Crise", et un souffle tremblant s’échappa d'entre ses lèvres lorsque les premières notes vinrent caresser ses tympans.

Autour de lui, l'environnement avait complètement changé, et semblait tout droit sorti d'un cauchemar. Sa vision, floutée par les larmes qu'il tentait désespérément de refouler, l'empêchait de voir correctement, tandis que ses membres, freinés par l'anxiété, semblaient lestés par des poids. Le trajet – pourtant court – jusqu'à la porte de sortie parue interminable, et c'est avec une rage frôlant la folie que Taehyung envoya le battant valser.

Sans qu’il ne leur en ait pourtant donné l’autorisation, ses larmes coulèrent avec abondance sur ses joues, ainsi que son cou, dès qu’il fut à l’extérieur, ce qui manqua de lui arracher un hurlement. Heureusement, la piscine se trouvait à l'opposé du lycée, et Taehyung n'eut à parcourir que quelques mètres avant de trouver un endroit désert où se réfugier. Le jeune homme savait qu'il n'allait pas tarder à craquer, et ce n'est qu'une fois complètement à l'abri des regards indiscret que son corps lâcha totalement prise ; penché vers l'avant et les mains appuyées sur ses cuisses, Taehyung inspira de grande bouffées d'air, comme s'il avait été submergé bien trop longtemps sous les flots tandis qu’au creux de son estomac, quelque chose grondait, grandissait, brûlait.

Bientôt, son sac se fit balancer contre le mur à sa gauche, et ses doigts se glissèrent dans sa chevelure pour y tirer des mèches, si fort qu'il aurait pu les arracher.

Putain.

Putain, putain, putain !

Jamais personne ne l'avait vu dans un tel état.

Si faible.

Si fragile.

Ce masque qu'il avait pris tant d'années à confectionner avec une minutie d'horloger, à lisser et à polir, s'était fissuré devant un parfait inconnu, et le châtain ignorait ce qu'il était censé faire. Il se sentait complètement impuissant alors que la scène dans les vestiaires tournait en boucle dans son esprit qui s'était transformé en véritable palais des glaces ; partout où son regard se posait, l'inconnu était là, à l'observer de son regard sombre et curieux.

Arrête de me regarder !

Les billes noires apparurent soudain sur le mur, et ses phalanges vinrent instinctivement s'éclater contre la surface rugueuse, sans aucune retenue. Dans un rythme chaotique et fébrile, Taehyung enchaîna les coups, ignorant la douleur qui se répandit telle une traînée de poudre dans ses doigts.

Après tout, la violence était son quotidien depuis qu'il était enfant, et son corps y était habitué. De longues minutes passèrent avant que le châtain ne recule enfin, les poings éclatés et pulsant d'une douleur tellement électrisante qu'elle finit par submerger les maux psychiques. Face à lui, des tâches rouges peignaient désormais le mur, ainsi que ses mains qu'il vint machinalement essuyer sur sa chemise. Celle-ci serait sans doute foutue, et cela mettrait son père en rogne, mais Taehyung n'en avait que faire.

Dans ses oreilles, les dernières notes de musique terminèrent de dissiper la tempête en lui, et le calme s'ancra doucement dans son corps sous les premières notes de la chanson suivante. Il ne s'agissait pas là d'un calme reposant, mais d'un calme résigné, qui surgissait après chacune de ses crises. Comme à chaque fois, celle-ci avait aspiré toute son énergie, et Taehyung n'était désormais plus qu'une coquille vide sur auto-pilote.