Julien Simon

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Je m'appelle Julien Simon.

Je n'ai jamais aimé ce nom. Parce que selon que l'on vous appelle par votre nom ou par votre prénom, vous ne savez pas si celui qui fait l'appel parle de vous ou d'un autre. Et c'est pareil pour vos camarades de classe qui ne savent pas s'ils ont affaire à un Julien ou à un Simon.

Foutues années de collège.

Mais bon. J'ai plus important à dire, à raconter, à consigner. À stocker – puisqu'apparemment, c'est tout ce que je peux faire maintenant. Stocker de l'information dans une puce, sur une bande ou dans une barrette de mémoire. Je n'ai pas les détails du hardware. Et c'est très bien comme ça.

Je m'appelle – ou m'appelais ? – Julien Simon, donc. Mais disons Julien tout court, ce sera plus simple.

Je suis mort un jour de mars, dans le sud de la France, lors de ma trente-et-unième année. La fleur de l'âge.

Coupé en deux par une glissière en bord de route.

Étrangement, ce ne fut pas si douloureux. En fait, si, ce fut douloureux, mais je m'attendais à pire – bien pire.

Ce fut surtout très effrayant.

Et puis, j'ai pu expérimenter le phénomène de récapitulation. Vous savez, lorsque l'on dit que, juste avant de mourir, on voit sa vie défiler devant ses yeux ?

Ça m'est arrivé. Enfin, c'est en tous cas ce que je crois, car je dois bien avouer que cette partie de ma « vie » restera à jamais nébuleuse pour moi et pour mes copies. Peut-être n'ai-je fait que rationaliser a posteriori cette décharge émotionnelle qui m'a vrillé le cerveau, je n'en sais rien. Après tout, je ne suis pas un scientifique.

Loin s'en faut.

Je suis juriste.

Après des études longues et difficiles, je devins donc juriste. J'étais mal payé, mais mon travail était gratifiant. Je travaillais en effet à épingler les sociétés voyous qui détruisaient la planète et la civilisation.

Rien que ça.

Bon, évidemment, nous passions notre temps à perdre nos procès à cause de vices de forme douteux, de non-lieux bien pratiques, d'avocats véreux ou de faux témoignages.

Mais il nous est aussi arrivé de gagner.

Nous avons par exemple infligé cinquante milliards d'euros d'amende à une grande société pharmaceutique allemande, qui avait délibérément inoculé le SIDA à des patients. Nous avons aussi obtenu réparation contre une société pétrochimique américaine qui avait tué et contaminé des dizaines de milliers de personnes en Inde, lors d'un accident industriel.

C'était en 2041. Un joli coup.

Et puis, je suis mort.

C'était en 2045.

Je ne crois pas qu'il faille y voir un quelconque complot. Non. Il est vrai que je travaillais sur un sujet assez brûlant – l'exploitation d'enfants en Chine pour le compte d'une société américaine de design technologique –, mais je ne pense pas avoir été la victime d'un meurtre. Non, je pense plutôt avoir été l'une des multiples victimes de ces accidents dont tout le monde pense qu'ils n'arrivent qu'aux autres.

Mais, pas de bol, ça m'est arrivé.

J'ai donc fini ma carrière de juriste humanitaire dans un petit virage des Pyrénées. Percuté par un automobiliste en perte de contrôle, ma moto a été broyée, j'ai été projeté dans les airs et j'ai fini sur la glissière. La faute à pas de chance.

DissolutionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant