Chapitre 1 ~ Alexis

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Je fermai les yeux. J'ai laissé l'écume légère m'envahir. Je me sentais si bien dans l'eau.
J'ai sursauté quand une main s'est posée sur mon épaule. Mais, j'ai rapidement calmé ma respiration. C'était Lucy. Elle monta sur la pointe des pieds et m'embrassa doucement sur les lèvres. Ses lèvres étaient salées.

Elle s'écarta ensuite légèrement, visiblement ravie. Elle fit :
"Alexis ! Tu vas rester dans... dans la mer longtemps ?"
Sa voix était presque suppliante. Je le compris précisément à cet instant. Désormais, elle avait besoin de moi. Il fallait que je l'aide. Que je la sauve. Du naufrage qui ne manquerait pas d'arriver.
Après les vacances. Ces vacances étaient un répis pour nous. Pour oublier, l'espace de deux semaines tout ce qui était arrivé avant, et ce qui ne manquerait pas d'arriver après. Elle avait peur du futur. Moi aussi.

J'eus soudain un sursaut de dégoût en sentant sa main sur ma peau. Comment osait-elle ? Après tout ce qui s'était passé... Je ne disais pas que je n'y étais pour rien, mais quand même...

Je me suis brusquement dégagé. Les yeux de Lucy s'assombrirent. Sa lèvre trembla :
"Je... je croyais que toi aussi tu voulais essayer pour voir... si tout n'a pas disparu..."
Ma voix est devenue rauque sans que je m'en rende compte.
"Oui. J'étais d'accord. Mais je ne suis plus si sûr que c'était une bonne idée."
Elle m'a regardé tristement m'éloigner.

***


Mathilde n'a pas eu l'air vraiment surprise de me voir rentrer de la plage seul. Elle m'a seulement dit :
"Tu as pris ta décision ?"
Une voix moqueuse se fit entendre derrière moi :
"Bien sûr que oui il a pris sa décision ! Comme à chaque fois, il va dire que Lucy est allée trop loin. Ils vont se séparer, et, deux semaines plus tard, il va aller la supplier à plat ventre d'accepter de revenir vers lui..."
Enzo me regardait, l'air ironique. Je sentis la colère m'envahir. Il avait beau être mon meilleur ami, il n'avait pas à me dire ce genre de choses...
Il parut s'en rendre compte, puisqu'il essaya d'atténuer ses propos :
"Enfin, ce que je voulais te faire comprendre, c'est que, c'est à chaque fois la même chose. Tu devrais comprendre que tu l'aimes Lucy. Et que tu lui pardonnes à chaque fois qu'elle fait une connerie. A chaque fois, c'est le même schéma. Elle te fait souffrir, donc tu décides que vous devez de nouveau souffrir tous les deux. Décides-toi une bonne fois pour toutes si tu veux rester avec elle.
-Justement..."
Je n'eus pas le temps de terminer. Lucy venait d'entrer. Elle sentit visiblement qu'elle était de trop, vu qu'elle détourna le regard. Elle murmura :
"Je... j'arrive au mauvais moment ?"
Le silence qui s'ensuivit fut conséquent. Mathilde se leva, s'approcha, et tendit une clé à la jeune fille :
"Tiens, Lucy. La clé de votre chambre."
J'ai haussé les sourcils :
"La clé de notre chambre ? Je dors avec elle ?"
La douce Mathilde cria soudain :
"Oui vous dormez ensemble ! Ce n'est pas parce que vous êtes mes meilleurs amis que je dois subir toutes les phases de construction et de déconstruction de votre couple ! J'en ai plus qu'assez ! Débrouillez-vous tous seuls ! J'ai accepté de venir ici avec Enzo parce que je pensais qu'on allait pouvoir passer des vacances tranquilles entre amis ! Mais si ce n'est pas le cas je..."
Je sentis la crise de larmes venir. Je fis le premier pas, mais Lucy fut plus rapide. Elle prit Mathilde dans ses bras et murmura :
"Je te promets, Mathilde, je te jure, même, que nous ne gâcherons en rien vos vacances en amoureux. Moi et Alexis nous nous sommes seulement un peu... disputés..."
Oui. Il valait mieux dire ça. Un peu disputés. Le mensonge est souvent préférable à la vérité. Enzo et Mathilde étaient nos meilleurs amis. Les seuls qu'ils nous restaient, d'ailleurs, je crois...
Lorsque ces vacances avaient été organisées, seule la perspective de passer du temps avec le couple parisien m'avait effleuré l'esprit. Oui. Et aussi le fait d'être à la plage avec ma merveilleuse petite amie.
J'eus un sourire amer en me rappelant à quel point tout cela avait changé. Lucy avait préserver les apparences. Partout. Nous étions les seuls à être au courant. Elle était retournée à l'université, l'air serein. Elle avait été parfaite. Comme à son habitude. Lucy était toujours parfaite. Toujours. Magnifique. Sublime. Ravissante. Mes parents savaient qu'elle allait réussir. Je me rappellais encore de ce que m'avait dit ma mère, après sa première rencontre avec elle : "Cette petite, elle ira loin. Elle est faite pour réussir." Ce qui avait évidemment, à mes yeux, augmenté l'écart qui nous séparait. La parfaite petite Lucy Weber. Et le stupide Alexis Jouan. Ce qui me surprenait, c'est que j'étais devenu jaloux. De ma propre petite amie. Inimaginable. A chaque fois, c'était la même chose. J'étais détruit. Et elle, patiemment, elle ramassait les morceaux, les recollait. Faisait croire qu'ils ne seront plus jamais détruits. Et tout ça, pour mieux les jeter à terre et les piétiner. Le pire, c'est que je ne parvenais pas à la détester. J'aimais Lucy. Plus que tout. Elle était la première. La première à avoir aussi bien compris ma personnalité. A avoir aussi bien compris qui se cachait sous l'épaisseur de ma carapace.
Lucy était intelligente. Bien plus que je ne le serais jamais. De quoi se dégouter, non ? Enzo et Mathilde, de qui nous avions été si proches, vivaient maintenant à plus de quatre heures de route de nous. Nous ne les voyions presque jamais. Enzo ne prenait pas nos fréquentes séparations à moi et à Lucy au sérieux. Seule Mathilde comprenait que nous n'étions pas un couple normal. Il était vrai que nous nous séparions souvent pour mieux nous retrouver. Entre nous, c'était intense. Incroyable.

Elle me ressemblait tellement, au fond. Aussi, malgré mon manque d'envie, je me suis levé, et j'ai pris la clé des mains de Mathilde. J'avais toujours envie de Lucy, ce n'était pas le problème. Seulement, j'avais peur que notre trop grande proximité n'engendre facilement des disputes stupides. J'ai soupiré en jetant un regard autour de moi. La maison était évidemment sublime. Lucy avait payé ma part. Je n'avais pas voulu. Mais je n'avais pas trop le choix. Qu'est-ce que le presque-totalement-deshérité petit Alexis aurait pu payer ? Depuis presque deux ans, elle payait le loyer de notre appartement. Au début, elle disait que c'était normal, qu'elle venait d'une famille privilégiée. Que cet appartement pour son père millionnaire n'était qu'une broutille. Au début, ce n'était que de la pure gentillesse. Du moins, je le suppose. Maintenant, c'était devenu de la pitié. Je ne voulais pas de sa pitié. Je voulais seulement de son amour. Mais est-ce qu'elle était capable d'aimer quelqu'un d'autre qu'elle-même ?
Je n'en étais même plus sûr. Plus les années passaient, et moins j'avais l'impression de la connaitre. Nous avions tous les deux vingt-quatre ans. Une dizaine d'années que nous sortions ensemble. Et j'avais l'impression de côtoyer une parfaite inconnue.
Je ne connaissais pas Lucy Weber. Peut-être ne l'avais-je même jamais connue.

Lucy n'était plus la petite fille qui m'avait sorti des flots. Elle n'était plus la sauveuse de la noyade. Elle n'était plus qu'une jeune femme sombre. Pourtant, actuellement, rien dans son apparence n'aurait pu montrer le déclin de l'ancienne reine du lycée. Même à peine rentrée de la plage ses boucles blondes se repositionnaient parfaitement autour de son visage. Son mascara n'avait pas coulé. Elle était belle. Je savais que je ne devrais pas penser ça, mais c'était la stricte vérité. Plutôt énervé, je suis monté à l'étage. J'ai déverrouillé la porte de notre chambre. Bien sûr, un lit double. A quoi m'attendais-je ? Je me le demande bien. Il nous restait quinze jours. Quinze jours pour décider, une bonne fois pour toute, si notre couple méritait d'être sauvé, ou pas. C'était surtout le "ou pas" qui me faisait peur. Je ne pourrais pas vivre sans Lucy, même si j'essayais de m'en targuer devant elle.
Elle le savait. Elle avait toujour su lire en moi comme dans un livre ouvert. Un pouvoir qui me faisait presque peur. Elle savait aussi bien prévoir toutes mes actions que la pluie et le beau temps. Elle savait que je reviendrais vers elle. Je suis toujours revenu vers elle. Mais je crois que je suis fatigué de le faire. J'ai envie d'autre chose. De quelque chose de différent. D'une relation durable. Ou chacun de nous serait égal. Car, là, elle savait qu'elle avait le pouvoir. Elle l'avait toujours eu, en réalité. Depuis la noyade.

Elle s'approcha, dans mon dos. J'eus un frisson de plaisir que je tentai à grande peine de dissimuler. Elle fit :
"Et bien, il semble que nous allons devoir dormir ensemble...
-Non !"
Je n'en revenais pas de la violence avec laquelle j'avais réagi. Ce n'était pas dans mes habitudes de m'énerver. Je suis d'une nature plutôt calme, habituellement.
Je me suis calmé. Après tout, depuis que nous étions là, elle n'avait rien fait volontairement pour m'énerver. Elle avait été douce, gentille. Adorable.
Ma voix était beaucoup plus assurée quand j'ai annoncé :
"Je vais dormir sur le canapé."
Elle ne m'en a pas empêché et m'a laissé partir. Au fond de moi, je crois que j'aurais aimé qu'elle me supplie de rester. Mais, il aurait fallu pour cela attribuer à Lucy un attachement à moi qu'elle ne devait pas éprouver. Elle ne s'attachait jamais. Elle prenait ce qu'elle voulait des personnes, les utilisait jusqu'à ce qu'elles ne soient plus que des épaves. Et puis, elle les rejetait. Comme des déchets.
Non. Lucy Weber ne s'attachait jamais.

La petite SirèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant