Chapitre 5 ~ Ariel

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Le premier souvenir qui me revint devait dater de plusieurs année. Quel âge avais-je, à l'époque ? Treize, quatorze ans ?
J'étais à vélo. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas touché à un vélo. Je pédalais. Le vent entrait dans mes cheveux. Je fermais les yeux. J'aimais cette sensation. Je chantonnais :
"I'm a lion and I want to be free... Do you see a lion when you look inside of me ?"
Je savais que ma mère allait être furieuse de voir mon départ. Mais, je m'en fichais, désormais, en réalité. Pour la première fois, j'étais libre. Libre pour quelques heures, certes, mais j'étais libre. J'entendais, au-dessus de ma tête, le cri des mouettes. Je suis sortie de la ville-même et je suis arrivée sur la jetée. J'ai acceléré. Un couple était enlacé sur un banc. Cela me fit mal au coeur. Pourquoi est-ce que je voyais ça ? Pourquoi maintenant ? C'était comme fait exprès... Le garçon du couple se dégagea de sa petite amie et me fixa longuement. Il était brun. Ce qui me frappa le plus chez lui, c'était ses yeux. Il possédait d'incroyables yeux bleus. Des yeux qui pénétraient dans mon âme. Sa copine a brusquement remarqué que je les regardais. Elle m'a dit, agacée :
"Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux une photo ?"
Je n'ai pas cherché à me battre. Je suis partie, sans un mot. Mais, longtemps après mon départ j'ai senti le regard du garçon sur mon dos.

Pourquoi m'étais-je laissée aller sur ce garçon de la plage ? Peut-être parce qu'il possédait les mêmes yeux que le garçon de la jetée. Presques semblables à ceux de Théo...
Des souvenirs confus me revenaient de la soirée précédente. Cela n'était pourtant pas mon genre de me laisser aller ainsi...
Je sentais le sable sous mes pieds. Cela était agréable. J'entendais aussi les vagues s'échouer sur la plage. J'ai senti quelque chose de dur contre ma poitrine. J'ai ouvert les yeux. J'étais allongée sur mon mystérieux inconnu ! Alors ce n'était donc pas seulement un rêve !
Il mumura, dans son sommeil :
"Lucy... Lucy, non ! Arrête Lucy !"
Qui était cette mystérieuse jeune fille qui le mettait ainsi au martyre ? Une amie ? Sa soeur ? Ou plutôt... Sa petite amie ? J'ai senti la jalousie naitre en mon coeur. Non ! Je voulais qu'il soit à moi, rien qu'à moi, juste pour quelques heures, pour quelques minutes...
J'ai eu une brusque pulsion. Je l'ai embrassé. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Mais, il avait l'air tellement paisible, en dormant...
Il s'est réveillé. Il m'a regardé étrangement, et m'a repoussée. Il a froncé les sourcils. Il a fait :
"Tu es qui ?"
J'ai haussé les épaules. Il ne se souvenait déjà plus de moi ? Je savais que je n'étais pas importante, et que tout le monde m'oubliait, mais quand même ! J'aurais tellement aimé que ce mystérieux jeune homme se rappelle de moi... Personne n'avait jamais été là pour moi. Alors peut-être était-ce pour cela que je m'étais allongée sur lui. Parce que lui, il avait été là pour moi. Il n'avait rien fait. Cela n'avait même pas été intentionnel, mais il avait été là. Sur cette plage. A me fixer de ses yeux fatigués.
Il a soupiré. Peut-être se rappelait-il un peu de moi, finalement ! Il avait visiblement la gueule de bois...
Il fit :
"Je... Je suis Alexis."
J'aurais aimé lui crier qu'il n'aurait pas dû me donner son prénom ! J'aurais tellement aimé qu'il reste simplement un bel inconnu dont je ne savais rien... Désormais, il allait se lever, et partir. Il allait sortir de ma vie aussi simplement qu'il y était rentré. Mon cri s'est étouffé dans ma gorge. Je n'avais plus émis un son depuis... Depuis ce jour-là... Ma voix avait disparu. Elle restait à l'intérieur. Oui, j'aurais aimé leur dire, à tous. Je ne suis pas muette. Je ne suis pas stupide. Ma voix est toujours là. Mais, à l'intérieur de moi. Bloquée. Enfermée. Elle refuse de sortir.
Mais, même avant ce mutisme, j'étais déjà aphone dans ce monde. Je n'avais jamais protesté. Je ne voulais pas décevoir. Mais, que je le souhaite ou non, je décevais. Cela devait être ma nature. J'étais décevante. Je décevais les gens. Alors, je tentais de faire de mon mieux pour ne pas les décevoir. Cependant, j'échouais à chaque fois. J'étais terriblement inutile.
Alexis m'a fixée :
"Suis-moi. Je... je vais t'aider."
J'étais toujours en sous-vêtements. Je me rappelais vaguement avoir porté une robe, durant la soirée précédente. Mais, elle avait disparu lorsque j'étais entrée dans l'eau. Dans l'eau, personne ne parler. Dans l'eau, personne ne chantait. Dans l'eau, je n'entendais pas leurs complaintes. Dans l'eau, j'étais heureuse. J'étais entrée tout doucement. L'eau salée m'avait submergée. J'avais toussé. Je me sentais mal. L'eau s'infiltrait de force dans mes poumons. Mais, dans l'eau, j'étais enfin heureuse.

Alexis se sentait le besoin de faire la conversation pour deux. Généralement ils faisaient ça. Ils étaient mal à l'aise. Ils me prenaient un peu pour une idiote. Ce qui les dérangeait, c'était qu'ils ne savaient pas ce que je pensais. Ils n'en avaient tous aucune idée.
Il dit, avec une voix faussement joyeuse :
"Tu verras, je suis dans une grande maison avec des amis... Elle est très grande ! J'espère que tu aimeras bien... Ne t'inquiète pas, on trouvera un moyen de te ramener chez toi..."
Je m'en fichais, moi, de rentrer chez moi ! Au contraire, je voulais m'en tenir éloignée le plus longtemps possible ! Mais personne n'aurait compris. Visiblement, il ne m'avait pas reconnue.
La maison dans laquelle ils habitaient était vraiment grande. Une jeune femme aux cheveux châtains, ternes, nous accueillit. Elle avait un grand sourire :
"Alex' ! T'es là ! Tu ne peux pas savoir comment on s'est inquiétés !"
C'était elle Lucy ? Un garçon aux cheveux bouclés et sombres l'attrapa par la taille. En tout cas, si c'était elle, visiblement, ce n'était pas la petite amie d'Alexis...
Mais, celui-ci me détrompa :
"Mathilde ! Je... Désolé. J'avais besoin de temps. De temps pour décompresser...
-C'est qui, elle ?"
Le ton était agressif. Une jeune fille blonde aux yeux bleus, très jolie, venait de descendre les escaliers. Elle m'a fixée pendant un certain temps.
Alexis a haussé les épaules :
"Je... Je ne sais pas. Elle est muette. Je l'ai rencontrée à la plage... Elle avait l'ai perdu. J'ai juste voulu l'aider...
-Et donc tu l'as ramenée... Très bien... Tu n'aurais pas pu l'emmener au commissariat ?
-Je... Je n'y ai pas pensé..."
Cela devait être elle, la fameuse Lucy. Ils parlaient tous les deux comme si je n'étais pas là. Un peu exaspérant. Ce n'était pas parce que j'étais muette que j'étais sourde !
Alexis s'exclama brusquement :
"Et toi alors ? Avec ton "ami blessé" ! Tu l'as retrouvé où ? Dans son appart ? Au restaurant ?"
Lucy semblait réellement furieuse. Des larmes se mirent à couler sur ses joues :
"Si tu voulais savoir, il a eu un accident de moto. Il est dans le coma. Entre la vie et la mort ! Et je n'ai pas pu le voir plus de dix minutes parce que je m'inquiétais vu que tu ne répondais pas à mes appels ! T'es vraiment con, des fois, Alexis !"
Elle tourna les talons, et claqua la porte derrière elle. Un silence s'installa. J'avais l'impression d'être l'intrue. Mathilde soupira en me désignant:
"Elle... Cette fille, elle ne peut pas rester ici pour toujours ! Il faut retrouver sa maison... Mais comment faire pour... Pour communiquer ?
-Attends, je crois que j'ai une idée !"
C'était le garçon aux cheveux bouclés qui était intervenu. Il sortit un carnet et un crayon. Il fit, en souriant :
"Elle est peut-être muette, mais elle doit savoir écrire, non ?
-Bonne idée Enzo", répondit Alexis.
Ils me tendirent donc le carnet. Mathilde fit doucement :
"Comment t'appelles-tu ?"
J'ai inscrit :
"Ariel"
Enzo éclata de rire :
"Comme la petite Sirène ! C'est marrant, ça..."
Mais, Mathilde et Alexis ne riaient pas du tout. Non. Ils s'étaient regardés d'un air consternés. Avaient-ils tout compris ?

La petite SirèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant