Pavle avait mis du temps à rentrer cette nuit-là. Il avait traîné les pieds le long des ruines fumantes sur le chemin du retour, hésitant à rebrousser chemin, pensant à rapporter la nourriture qu'il venait de volé à la famille à qui il l'avait dérobé. Voler, voleur. Les mots résonnaient dans sa tête. Il était devenu un voleur. Il chassa ses idées noires de son esprit en franchissant la porte de notre maison.
Pour nous autres, la nuit avait été calme. Rien à signaler. Tout le monde était déjà levé quand Pavle rentra à la maison. Il était exténué. Mais avant de se coucher, il puisa dans ses ultimes réserves d'énergie pour cuisiner ce qu'il avait malhonnêtement récupéré pendant la nuit. La nourriture avait un goût de cendre dans sa bouche m'avait-il dit. Il était affamé, et ces bouchées lui donnaient envie de vomir. Était-ce la fatigue? Était-il malade? Ou était-ce sa mauvaise conscience? Il essayerait d'y répondre durant son sommeil, mais, avant de rejoindre les bras de Morphée, Pavle fit une dernière corvée en utilisant le fertilisant qu'il avait récupéré durant sa fouille sur le piège à animaux. Avec un peu de chance, nous attirerions quelques rongeurs à cuisiner.
Bruno prit le relais quelques minutes plus tard. Il commença par s'occuper des tâches quotidiennes de la maison, c'est-à-dire récupérer de l'eau. Une tâche fastidieuse qu'il fallait répéter chaque jour.
Mais à part ça, la journée fut plutôt calme. C'était agréable de temps en temps d'avoir des journées comme celle-là.
Dehors, les combats continués à faire rage. On entendait sporadiquement des tirs d'armes automatiques. Il n'y avait pas de fronts dans ces combats donc impossible de savoir qui gagnait ou qui perdait. Terminées les Grandes Guerres qu'on voyait à la télé ou des colonnes de chars avancées en bel ordre, les soldats l'arme dressée, et le drapeau battant le vent. La guerre moderne était sale et aléatoire. Soldats improvisés en guenilles qui rentrent dans des habitations prises au hasard pour piller les habitants. La guerre moderne, c'était la guerre du pillage.
Je l'avais senti, j'étais légèrement malade, mais, malgré tout, j'insistais pour aller collecter moi-même. J'estimais être le plus qualifié pour cette tâche et je préférais que Pavle garde la maison. Ma cible était un chantier de construction. J'espérais y trouver de quoi continuer à améliorer notre abri et suffisamment de bois et de matériaux pour élaborer notre jardin à plantes. Quel meilleur endroit aurais-je pu choisir qu'un immeuble en construction?
J'avançais discrètement près des échafaudages, la récolte était fructueuse. Chaque recoin de la zone regorgeait de bois et de matériel. Alors que je montais au premier étage par une vieille échelle un peu rouillée, je m'arrêtais. Au milieu des échos de lointaines fusillades, j'entendais des voix, quelques étages au-dessus, deux voix plus précisément. Ils ne savaient pas que j'étais là, mais j'étais sûr de moi, il y avait du monde ici. Comme les voix étaient un peu éloignées, je préférais les ignorer et continuer ma recherche, tout en gardant une main sur mon couteau, au cas où. Nous ne pouvions pas nous permettre de fuir au moindre danger, il nous faut apprendre à vivre malgré la guerre.
Je chargeais mes poches au maximum à en faire craquer les coutures de mon sac. Je me concentrais essentiellement sur les bois et les matériaux. C'était le plus urgent. Finalement, au bout de quelques heures, je décidais de rentrer à la maison. Je n'étais pas curieux au point de savoir qui se cachait derrière ces voix. Les rayons de soleil du huitième jour avaient du mal à réchauffer ma peau mais au moins la nuit avait été bonne. Je revenais avec une tonne de bois. Enfin une bonne récolte commençais-je à me dire. Pas le temps d'aller au bout de ma pensée que je déchantais brutalement. En arrivant, je fus accueillie par une tache de sang. Nous avions était pillés. Pavle et Bruno avaient été blessés. Bruno même plutôt sérieusement. Sa blessure était profonde et pour couronner le tout, les pilleurs avaient embarqué de l'eau et de la nourriture. Était-ce là notre punition pour avoir fait de même la nuit précédente? La morale de Bruno s'éteint minutes après minutes. Sa blessure n'était pas belle à voir, il était déprimé et à deux doigts d'abandonner. Sa volonté de vivre s'effaçait doucement. Pavle alla discuter avec lui, essayant de trouver les mots justes pour le réconforter, essayant de lui donner un second souffle, lui rappelant que nous étions là pour lui. Ils discutèrent ensemble pendant presque toute la matinée. Encore une sale journée.