Chapitre vingt-deux

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-"MAIS C'EST SI DUR POUR TOI DE BOUGER TON CUL JUSQU'À UN HÔPITAL? J'AURAIS PU CREVER T'AURAIS MÊME PAS SU!!!

-TU SERAIS MORTE D'UNE CHEVILLE CASSÉE PEUT-ÊTRE???

-T'EN SAIS RIEN!

-OH OUI JE SAIS! TU ME GONFLES AVEC TES CRISES DE JALOUSIE À LA CON!!!

Notre discussion constructive était partie en dispute de vieux couple, mariés depuis trente ans. Quand je suis arrivée à l'internat il n'avait même pas daigné se déplacer pour venir me voir. Quand j'ai demandé à Agathe de le faire venir, il grognait car je l'avais dérangé dans sa sieste. Et là je suis sortie de mes gonds.

-PARFOIS JE ME DEMANDE VRAIMENT SI TU TIENS À MOI, hurlé-je!!!!

-ET MOI JE ME DEMANDE SI JE tiens à toi...

Ces mots résonnèrent dans ma poitrine comme de puissantes détonations. Je me demande si je tiens à toi. Alors il ne m'aimait pas? Je me tus immédiatement.

-Non Lisa ce n'est pas ce que je voulais dire, reprend-il, je t'aime plus que tout, je le jure!

-Oh arrête un peu, rétorqué-je la larme à l'œil, dis-le moi une bonne fois pour toute si tu ne m'aime plus, je préfère ça plutôt que de continuer à me voiler la face.

-Non, répond-il! Je t'aime plus que n'importe qui au monde! Je tiens réellement à toi. Je ne pense pas le moindre mot de ce que je viens de te dire, j'étais juste un peu à cran. Pardonne-moi je t'en prie...

J'essuyai mes larmes, sans rien répondre. Cela m'énerve de pleurer devant lui, c'est comme si je lui montrais mes faiblesses alors que je m'efforce de me montrer forte. Je ne sais guère ce qui lui arrive ces temps-ci, mais j'aimerais que ça s'arrête. Je ne veux pas le perdre.

Je lui demandai de partir, de me laisser seule.

Ce n'était pas du tout ce que j'espérais, mais il s'en est allé, affable...

*

Le printemps emporte tout, les bonnes comme les mauvaises choses, les agréables comme les insupportables nouvelles et nos sentiments usagés. Mes instants passés avec lui, les disputes qui nous ont enflammés, et les réconciliations qui laissent toujours cet arrière-goût amer. On m'a dit que la douleur était bonne car c'est ce qui nous fait nous sentir vivants. Alors en ce moment, je dois être plus vivante que jamais.

Je regardai avec désespoir mes béquilles appuyées contre le mur à cinq mètres de moi, puis glissai mes yeux en direction de ma cheville plâtrée, et enfin vers mon lit, chaud et confortable, qui criais mon nom avec amour et affection. Je lui renvoie son regard séducteur et ténébreux, avant de me jeter dans ses draps et de le laisser m'envelopper tout entière, comme s'il était ma sauce barbecue et que j'étais sa brochette d'agneau : une fusion totale et intemporelle.

C'est en m'apprêtant à l'embrasser langoureusement que j'entendis une porte claquer : Anna.

-Oh! Anna tu es là?! Euh... Depuis combien de temps exactement?

-Depuis trop peu de temps pour comprendre ce qui se passe ici... Enfin, je veux même pas savoir!

J'éclatai de rire, sans aucune raison, je vous l'accorde...

-Lisa... Je sais que ce n'est ni le moment, ni l'endroit ni même le contexte pour en parler, mais c'est un sujet qui ne va pas tarder à exploser à l'école, alors il faut vite en débattre ...

Je la coupai :

-De quoi tu parles?

-De... tes parents Lisa.

Ce mot "P A R E N T S". Il ne sonne plus comme avant. Non non, il a bien plus de profondeur que cela. Il ne m'évoque que de la haine. Je le mets au même rang que le bruit des ongles qui crissent sur un tableau noir, que les hurlements de bimbos blondes dans les films d'horreur, et que le rire de ma cousine Sophie.

-Je sais que tu n'en savais rien, et je sais que tu ne comprends pas, je sais que tu ne veux pas en entendre parler, mais ce que je sais par dessus tout, c'est que si on n'en parle pas maintenant et que tu dois être appelée à témoigner lors de leur procès, ou à parler à un avocat, tu risques d'être maladroitement impliquée dans une affaire assez complexe et assez tordue.

-En quoi le fait d'en parler me sortirais d'affaire, rétorqué-je? Je suis dans une merde monumentale, aussi monumentale que celle qu'Emma rejette chaque matin dans ses chiottes, et je ne vois pas comment m'en sortir?!

-Tire la chasse d'eau.

-Hein?

-Je ne sais pas... Je pensais trouver une réflexion pleine de philosophie et de bons conseils en un quart de secondes, mais là tout de suite... ça vient pas...

Sans ajouter mot, je me recouchai, et me suis enfoui au creux du matelas. En fermant les yeux, j'ai découvert un autre monde, un monde qui n'existe pas. C'est une grande salle toute blanche avec des dizaine de néons suspendus au plafond. Je peux même sentir ce monde; un mélange de gel antibactérien et de poudre de bébé. L'odeur de l'hôpital... Puis une vive douleur, plus forte encore qu'un électrochoc, une onde survoltée qui emporte dans son sillage le monde dans lequel j'avais été amenée.

-Ils avaient des dettes, avoué-je sous le coup de cette effroyable pulsion.

-Quoi? demanda Anna.

-Des sommes astronomiques à rembourser, continué-je... Tout ça date d'il y a deux ou trois ans au moins. Cette année-là, on avait eu une poisse incroyable. Le plus gros magasin de mon père avait pris feu... Son chiffre d'affaire annuel avait beaucoup diminué, ensuite ma mère est tombée malade... Et pour terminer en beauté, après avoir fait un achat sur Internet, la carte bleue de mon père a été piratée et le hacker a pompé tout l'argent de leur compte commun. On était ruinés. Puis après ça, mon père a enchaîné les voyages d'affaire... Mais maintenant je me rends compte que c'en était pas... Puis dès qu'il revenait, il nous couvrait de cadeaux, il était de bonne humeur, il aimait nous revoir, il restait là pendant près d'un mois à chaque fois et il repartait.

J'ai débité ces paroles d'une traite, évoqué le cancer de ma mère sans chanceler, et trouvé des réponses à beaucoup de questions jusqu'alors restées sans réponses sans me rendre compte de rien. Les mots sortaient de ma bouche avec une fluidité impassible mais monotone.

-Je... Wow, dit Anna. Désolée je ne savais pas...

-C'est rien. De toute façon je viens de me rendre compte de la machination... Mais je ne leur en veux plus, car je sais pourquoi ils l'ont fait... Et... Et je suis persuadée ce sont des circonstances atténuantes.









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