48ème jour après la soirée - 4 -

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Une fois sortie du self, je me dirige vers les bancs situés au milieu du Lycée, à côté du parc, Nico toujours à côté de moi. Ce que j'apprécie, c'est qu'il ne parle pas beaucoup, enfin, surtout il ne me pose pas trop de questions. Emmy est déjà assise, dos à nous, sur l'un des bancs, les yeux rivés sur son téléphone. Je parie qu'elle est en train de m'envoyer un texto. J'arrive par derrière et la pince doucement de chaque côté de la taille. Cela la fait sursauter, comme à chaque fois.

- Hey ! Tu sais que j'ai horreur de cela ! J'étais justement entrain de t'envoyer un texto. J'ai bien cru que tu m'avais oubliée.

Elle marque un temps d'arrêt en voyant Nico, enfin, surtout en voyant les pommettes et les pectoraux débordant du T-shirt de Nico. Puis elle reprend :

- Ah ben je vois que Madame ne perds pas de temps ! C'est qui ce bel Apollon ?

- Je m'appelle Nico. Et toi, Aphrodite ?

- Charmeur et un minimum cultivé. J'adore ! Moi c'est Emmy.

- Très heureux de te rencontrer, dit-il en lui prenant la main et en y déposant un baiser.

Je monte les yeux au ciel alors qu'Emmy émet un petit gloussement. Tous les mecs la font craquer. C'est impressionnant ! J'ai intérêt à la surveiller. Nico est sympa, mais je n'ai pas trop envie de récupérer de la « compote de Pomme » à la petite cuillère dans trois jours.

- Bien. Mesdames, maintenant que les présentations sont faites, je suis vraiment navré, mais le devoir m'appelle. Aurais-je le plaisir de vous escorter jusqu'au Déviant ce soir ?

- Qu'est ce que le Déviant, mon cher ? déclare Emmy d'une voix solennelle, rentrant ainsi dans son jeu.

- Comment mademoiselle, vous ne connaissez pas Le Deviant ? Sachez seulement qu'une fois que vous y entrerez, vous n'allez plus jamais vouloir en repartir.

- Oh. J'ai hâte de découvrir ce merveilleux endroit. Pas toi Lia ?

Je lui adresse un regard avec une petite moue. Cela aurait pu être un sourire si j'avais encore la force d'en esquisser ne serait-ce qu'un seul.

- Parfait. Rendez-vous à 15h devant l'entrée du stade. A tout à l'heure !

Il embrasse le bout de ses doigts et nous envoie ses baisers de la main, courant en direction du stade. Une fois disparu derrière un bâtiment, Emmy soupire de joie et me demande :

- Je n'y crois pas, il est trop canon ! Mais où l'as-tu rencontré ?

Je lui montre mon calepin à dessin et elle comprend de suite.

- Il est dans ta classe ? Je n'en reviens pas. En plus de te permettre de te rincer l'œil toute la journée, il est intelligent. Tout à fait le genre de mec qu'il te faut.

Je lui fais les gros yeux et ouvre grand la bouche. Certainement pas ! Hors de question que je ne sorte avec un mec avant au moins un siècle. Et encore, un millénaire serait plus approprié. Et puis Nico est sympa mais pas du tout mon genre.

- Tu ne veux pas ? Tant mieux cela en fera plus pour moi, dit-elle en rigolant. Bon aller, c'est bien beau tout cela, mais faut que j'aille en cours de couture. A tout à l'heure. 15h devant le stade.

Elle me fait un bisou sur la joue et pars. Une fois de plus, je me retrouve seule. Même si la douleur est plus intense lorsque je suis seule, j'apprécie la solitude. J'aime être perdue dans mes pensées, sans avoir besoin de faire l'effort d'écouter les autres, sans avoir besoin de chercher des solutions pour m'exprimer sans prononcer un seul mot. Mais bien évidemment, cela ne va pas durer. Il faut que j'aille à mon activité. Oui, j'ai menti à Nico en disant que j'avais encore cours de dessin, mais il était hors de question que je lui explique à quelle activité je devais assister.

Je me dirige vers le bâtiment des arts, longe le couloir désert et dépasse les toilettes situés au fond. Ma respiration se cale à la résonnance de mes pas. Arrivée devant la porte fermée de mon prochain cours, je m'adosse contre le mur et me laisse glisser par terre. Je tire mon portable de ma poche et commence à écrire un texto à Emmy. C'est alors que j'entends de la musique. Du piano. La mélodie est douce, triste, magnifique. Je redresse la tête et me lève. A pas de loup, je repasse devant les toilettes. Juste après l'angle du mur, Mme MacHaster manque de me percuter de plein fouet. On s'arrête juste à temps pour s'éviter.

- Ah Lia, te voilà. Je suis tellement contente que tu aies accepté de venir. Suis-moi, nous allons nous installer.

Pendant qu'elle ouvre la porte à clé et s'installe, elle poursuit son monologue :

- Comme tu avais refusé d'assister à mes cours l'année dernière, je pensais sérieusement ne pas te voir cette année. Mais ta mère a insisté. Je suppose que c'est un peu à grâce à elle si tu es là. Elle m'a dit que tu étais dans une période difficile en ce moment, que tu ne lui parlais pas. Je ne suis pas là pour te forcer à parler, tu le sais. Je suis là pour t'apprendre à maitriser et comprendre le don que vous avez toutes dans votre famille. Car seule une personne extérieure peut te l'apprendre. Tu le sais déjà n'est-ce-pas? Bien. Je te rassure, même si ta mère m'a demandé de te tirer les vers du nez, je ne le ferais pas. Si tu as envie de me parler de ce qui te tracasse, n'hésite pas. Mais je ne te forcerai pas. Je veux seulement que tu saches que je serai là pour t'écouter. D'accord ? Très bien, alors commençons.

La pièce est sombre, des rideaux épais atténuent la lumière criante du soleil radieux de ce midi. Mme MacHaster s'est assise dans un fauteuil en cuir noir. Devant elle, une table en bois est recouverte de quatre bougies qu'elle prend soin d'allumer ainsi que d'un paquet de cartes. Je prends place en face d'elle dans un fauteuil semblable au sien, pose mon sac à mes pieds et me cale contre l'assise. Non, ceci n'est pas un cours de dessin. Ceci est de la voyance. Attention, je ne vous parle pas de pouvoirs magiques, sorcières et autres trucs, non. Je vous parle de la capacité à pouvoir lire dans les cartes. Je vous parle là de réussir à ressentir les choses. Vous comprenez mieux pourquoi je ne pouvais pas le dire à Nico ! Seule Emmy est au courant. Et ma mère aussi, bien sûr puisqu'elle m'a obligé à y assister de la plus simple et efficace des manières : le chantage. Pas de cours de voyance, pas de cours de dessin. Forcément, je n'avais plus vraiment le choix. Ce que j'aurai apprécié, c'est tout simplement qu'elle me demande pourquoi je ne désirais pas y assister. Et il y a là une bonne raison. Tous les jours, ma mère tire les cartes. Tous les jours elle tente de déchiffrer mon présent et surtout mon avenir.

Il y a quarante-neuf jours, comme tous les soirs, elle a tiré les cartes. Elle a vu qu'une chose terrible aller se passer. Elle a lu que je ressortirais meurtrie à jamais de cette soirée. Mais elle m'a laissé y aller. Elle m'y a même conduit, comme si elle voulait être certaine que je n'y échappe pas. Elle m'a regardé droit dans les yeux cette nuit-là au moment où j'allais descendre de la voiture et elle m'a dit avec un sourire « A demain ma puce. Amuses-toi bien. Profites bien de la soirée. » C'était la dernière fois qu'elle m'a vu sourire. Quand elle est venue me récupérer le lendemain, je n'ai pas prononcé un seul mot. Je n'ai fait que la transpercer du regard, auquel elle a répondu par « On ne contredit pas les cartes, Lia. Jamais. » Depuis ce jour, je me suis jurée que si j'étais à mon tour amenée à tirer les cartes, je ferais tout pour éviter la souffrance à d'autres personnes. Je ne laisserais plus jamais les cartes dicter ma vie. Jamais.

Blind LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant