Chapitre 7 : Les bêtises

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La petite fille en avait fait beaucoup, des bêtises.
Surtout pendant la sieste.
C'est très fâcheux d'être parquée dans un lit à barreaux, tandis que la vie continue tout à côté. Alors il faut bien manifester son mécontentement d'être ainsi abandonnée de tous.
On décolle la jolie frise du mur, on mange même son matelas. Puis, dès que l'on peut enfin sortir du lit, sans toutefois atteindre la poignée de la porte, on jette à travers la pièce tous les petits habits soigneusement pliés dans les tiroirs de la commode, on déchiquette les Pampers pour faire plein de jolie neige dans la chambre et puis on fait même d'autres bêtises. Épouvantables. Mais celles-là, la Petite fille m'a fait promettre de ne jamais les raconter.
Me souvenant des heures interminables passés à recoller la frise, à replier les habits, à déboucher l'aspirateur étouffé par la neige cotonneuse, j'ai cru assurer mes arrières avec Number Two.
Murs nus, accès à la commode interdit, boîtes de couches en hauteur. J'ai seulement oublié l'armoire, elle pas.
Un matin comme les autres, je la laisse seule quelques minutes dans la chambre, trônant sur son nouveau tapis au milieu de sa ménagerie en peluche ; elle a dix-huit mois.
Lorsque je reviens, Number Two a le visage couvert de sang et de grosses tâches rouge brunâtrd maculent le tapis.
Mon enfant est blessée. Mère indigne. Au secours ! Les pompiers. Le SAMU. Mais que fait la police ?
Mon oeil affolé enregistre toutfois l'image de la mallette à pharmacie à côté de la grande blessée, qui ne manifeste aucune souffrance. L'objet du délit avait été pourtant soigneusement enseveli au fond de l'armoire, sous des strates de couvertures dans des sacs en plastique.
Je m'approche ; en équilibre sur la mallette béante, un flacon ouvert et vide. Number Two a sifflé la bouteille de mercurochrome.
Lavage d'estomac ?
《Inutile, Madame !》me répond un charmant médecin du Centre anti-poison. 《Votre fille ne craint rien. Simplement, le mercurochrome étant alcoolisé, elle risque d'être légèrement ébrieuse pendant un moment.》
Ce 《moment》 a duré deux heures. Deux heures pendant lesquelles Number Two, gloussant de rire, s'est roulé par terre en se tapant sur les cuisses avant de sombrer dans son premier someil d'ivrogne.

Un autre mati, six mois plut tard.
Je m'affaire dans ma chambre avant de garderie, l'école, le journal. Tout d'un coup, mue par une force inexplicable, je me rue dans la salle de bains. Number Two s'apprête à immerger le sèche-cheveux en marche dans le bidet remplit d'eau... Je plonge sur la prise. L'arrache. M'empare fébrilement du séchoir.
C'était moins une.
Je m'affale sur le rebord de la baignoire ; je n'ai plus de jambes, plus de tête, plus de coeur, plus rien. Juste une effroyade terreur rétrospective qui me fait hurler : 《Mais ça va pas, tu est folle, qu'est-ce que c'est que ça ?》Et Number Two de m'expliquer les yeux noyés de larmes qu'elle voulait juste sécher l'eau.
J'ai adressé une vibrante prière d'action de grâce à son ange gardien ainsi que toutes mes excuses pour tout le travail que lui donnait cette enfant.
Quant au crétin qui a osé dire 《Petits enfants, petits soucis》, qu'il ne se trouve jamais sur mon chemin.

Et Toi, Tu vis toute seule?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant