Chapitre 5 : Le dernier mot

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Louise, une pas tout à faie amie, m'avait appelée la veille:《Il ya des soldes de tissus chez machin, viens donc avec moi !》
Je veux pleins de couleurs dans la maison des Marais, une toute petite maison au bord de la mer où j'ai choisi d'abriter l'enfance de mes filles. Je dis oui.
La Petite fille est du voyage. Je sangle ses deux ans dans son fauteuil à l'arrière de la voiture:《On va acheter des beaux rideaux pour la maison et tu choisiras ceux de ta chambre !》 Elle a l'air assez content et, au son des Fabulettes d'Anne Sylvestre, nous arrivons devant chez Louise.
Comme beaucoup plus de gens qu'on voudrait bien le penser, Louise n'aime pas les enfants, je crois même qu'elle les déteste. Trop bruyants, trop envahissants, trop vivants, ils troublent son univers bien rangé de femme qui n'a jamais été mère.
En montant à bord de notre cochonnière, elle n'a même pas un regard pour ma fille, malgré un 《Bouzour !》tiédasse, c'est vrai.
《Éteins cette musique de débiles, on ne s'entend pas !》
Je coupe le sifflet de la pauvre Anne Sylvestre et l'on ne sait plus ce qui se passe au temps du clair de la terre, ni ce qui fait rêver le petit garçon qui chante avec elle.
Je jette un regard d'excuse dans le rétroviseur et reçois deux grosses billes noires et glaciales en plein coeur. Depuis sa naissance, même avant d'ailleurs, la Petite fille occupe l'espace avec une détermination farouche. Gare à celui qui ne respecte pas son terrotoire !
Louise pépie allégrement, inconsciente de l'orage qui sourd à l'arrière. J'essaye de détendre l'atmosphère, de faire fondre les stalactites qui s'enfoncent dans ma tête, en vain.
En extirpant la Petite fille de son harnais devant la boutique, c'est un pain de glace que je tiens dans mes bras. À mon 《Ça va amour?》tremblotant, elle tourne la tête d'un air 《We're not amused》 qui me fait craindre le pire.
Le magasin est bondé et surchauffé. Je me cramponne jusqu'à la caisse à un ravissant tissu bleu pour la chambre d'amis, qu'une vieille dame très chic tente de m'arracher. Je regrette soudain de ne pas avoir emmené mon chien. Il aurait mordu la vieille et eu sûrement plus de conversation et d'intérêt pour ces étoffes multicolors que mon iceberg de mouflette.
Je dépose Louise chez elle. Ouf, nous avons évité l'incident diplomatique ! Je tente un 《Tu dis au revoir Louise, Chérie?》 Silence.《Dis au revoir, Chérie !》
Louise hausse les épaules. 《Cette enfant est sourde et muette, ou très mal élevée !》
La toute petite voix qui s'était tue si longtemps articule alors très distinctement :《Elle est moche Louise !》
Atterrée, je bafouille que la Petite fille ne sait pas ce que ça veut dire, que tout ça c'est du n'importe quoi, vraiment. Mais devant le visage grimaçant de Louise et ses yeux de gros poisson mort, je pense que celui qui a dit que la vérité sortait de la bouche des enfants et des ivrognes n'avait pas forcément tort.

Et Toi, Tu vis toute seule?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant