[Faisons tanguer les étoiles, m'avait-il dit.]

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J'avais rencontré Erwan à une soirée peu originale, le genre de fête d'une banalité exubérante ou les gens fument, boivent et s'embrassent sans même se connaître. J'en étais à mon troisième verre de Tequila, peut-être même au cinquième qu'est-ce que j'en sais, j'étais bourrée, lorsque nos regards se sont croisés. Il avait l'air songeur et un regard ravageur. Il était plutôt attirant et moi j'avais trop bu. Je le regardais l'air un peu fébrile et il me souriait, remplissant son verre dès qu'il se vidait alors que moi je n'avais plus les idées claires.

Il était exactement 2h03 lorsqu'il s'est approché de moi, un rictus au coin des lèvres. J'étais saoul, mes pensées se culbutèrent et son regard n'aidait pas la chose. Et puis il y avait son sourire. Un sourire à en faire pâlir le vide. Ce sourire, qui, juste pour le revoir me ferais commettre un génocide. Puis il s'est assis tout près de moi. Assez près pour que je sente les effluves de son parfum et la chaleur de ma peau frôlant la sienne à chacun de nos mouvements. Nous avons commencé à parler de choses banales enfin pas tant que ça puisque ce garçon était étrange et rendait la banalité originale. Il avait ce rêve fou et ce désir inavoué qui était de faire tanguer les étoiles. Mais moi je ne comprenais pas, alors je lui souriais.

Plus le temps passait, plus nous avions l'air de nous connaître. Nous discutions comme de vieux amis que le destin avait séparés.
A 2h54 précise, nous sommes sortis dehors afin de prendre l'air. Il avait pris soin d'emmener son verre qui ne s'était toujours pas vidé et je me demandais combien de verres il pourrait encore boire tout en gardant les idées claires. Puis de sa main libre il enlaça nos doigts, me lança un clin d'œil et m'entraina dans une course folle à travers la ville.
Je me souviens encore de cet instant, où j'ai suivi telle une inconsciente un garçon que je connaissais à peine et je ne regrette rien car dans le fond, après ces 51 minutes passées à discuter avec lui, je le connaissais mieux que personne sur cette terre.

Lorsque nous avons eu tous les deux le souffle coupé, nous nous sommes arrêtés de courir et nous nous sommes allongés sur le béton encore humide de la veille. Nous haletions et rigolions en même temps ce qui fait que nous avons mis beaucoup de temps à reprendre notre souffle. Une fois remis de ce « footing de nuit » improvisé, Erwan m'a regardé dans les yeux et m'a dit : « Ce soir nous ferons tanguer les étoiles. » Je ne comprenais toujours pas, alors je souriais encore.

Nous sommes restés un moment, allongés sur le béton encore humide de la veille puis à 4h01 il s'est levé et il a commencé à partir. Alors je l'ai suivi. Il est allé s'assoir sur un banc un peu plus loin et je me suis assise à côté de lui. Il regardait les étoiles, le regard vide. Il avait l'air légèrement saoul et perturbé. Alors, sans rien dire, j'ai levé la tête à mon tour en direction des cieux et j'ai vu s'étendre l'infinie galaxie.
Après un long moment de silence, il s'est enfin remis à discuter. Nous parlions de projets qui n'aboutiront jamais et fixions des plans pour des lendemains qui n'auront jamais lieux. Il continuait de me parler des étoiles et étrangement j'étais intéressée par ce qu'il disait. C'était un peu comme s'il m'avait mis la corde au cou, j'étais pendue à ses lèvres.

A 4h38, tel un garçon instable, il s'est encore levé, a mis de la musique avec son téléphone, m'a (encore) prise par la main et nous avons dansé. Oui dansé, tels des adolescents, tels deux enfants. Il m'a fait virevolter dans les airs et moi je ne réalisais pas ce qu'il se passait. A vrai dire c'était plutôt un bon danseur et avec lui, j'étais à l'aise.
Puis, lorsque la chanson fut achevée, ses lèvres ont rencontrés les miennes et à cet instant, même si je ne connaissais pas la signification de « faire tanguer les étoiles » je savais qu'il avait fait tanguer mon cœur.

A 5h00, nous nous promenions le long du trottoir et Erwan sautait, criait. Il avait l'air heureux. Mais je pense qu'il commençait à ne plus avoir les idées claires. Je n'arrivais plus à le calmer et l'alcool prenait le dessus. Il commençait à y avoir des voitures mais il ne faisait pas attention, il s'amusait.
Par moment il me prenait par la main, me faisait tournoyer un coup, m'embrassait et la relâchait aussitôt pour se remettre à sauter de joie.
Puis vint le saut de trop, la seconde fatale. Erwan venait de lâcher ma main et avait sauté du trottoir lorsqu'une voiture qui roulait bien trop vite l'a percuté.

5h28. Il est mort. Cette voiture l'a tué. Ces yeux ne brillent plus. Ils sont ouverts mais ne voient plus. Il n'a plus ce merveilleux sourire collé au visage. Il ne reste plus que son corps, en sang, dans le virage.

Erwan il voulait faire tanguer les étoiles. Je crois qu'il a réussi. Cette voiture l'a fait tanguer et il est devenu une étoile. Maintenant c'est lui qui va les faire tanguer.

Tu vois Erwan, tu as réalisé ton rêve. Tu as fait « tanguer les étoiles. »

Les étoiles tangueront.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant