Un bonnet surla tête, l'inconnu souriait. Il n'était effectivement pas plusvieux qu'Eliott. Avait-il dix-sept ou dix-huit ans ? Ilregardait le jeune studieux d'un par-dessus son épaule, la têteretournée par rapport à son corps, avec un air dédaigneux, voirecondescendant. A plus B facteur de A moins B. Ce devait être uneévidence.
Malgré laprétention qu'il dégageait Eliott fut intrigué. Par l'homme qui setenait face à lui, au tatouage qu'on lui découvrait dans le creuxdu cou, à ses yeux qui semblaient pouvoir percer tout mystère. Ilaurait pu passer dans le rue, dans une foule compacte et serréqu'Eliott l'aurait quand même regardé. Si Eliott y croyait ilaurait dit de ce matheux en puissance dégageait une aura. Voussavez, ce genre de choses qui se sentent mais ne se voient pas. Iln'y croyait pas.
Il aurait voulului dire quelque chose d'autre, un vulgaire « Comment tut'appelles ? » ou une autre banalité dont on abuse de nosjours mais il se tût. A quoi cela pouvait-il bien mener ? Ilreplongea la tête dans son travail, laissant l'étranger vaquer àses occupations qu'il supposa bien plus grande que celle de parler àtout va à d'illustres inconnus. Les maths lui remplirent le cerveaude nouveau, comme un symphonie qu'il devait faire sonner juste, unepartition qu'il avait à écrire. Peu lui importait sa désinvolture,son snobisme profond ou sa gratitude bien inexistante. Ce n'est pasparce que quelqu'un l'avait aidé qu'il devait se fondre enremerciements et l'inviter à prendre un verre. Aurait-voulu prendreun verre d'ailleurs ? Il ne le saurait sûrement jamais. Fracasde portes. Il était parti. Eliott était de nouveau seul ou du moinsmal accompagné de dérivées et d'autres discriminants. C'étaitmieux comme ça, pensa-t-il.
La solitudeamène à la tranquillité et la tranquillité à la quiétude.Quelle idiotie que de vouloir créer des liens dans unvingt-et-unième siècle que l'on dit placé sous le signe de lacommunication alors que c'est faux.
Lesmathématiques, elles, sont rassurantes. Il n'y a pas de surprises,de mystère. C'est soit négatif, soit positif, soit unemultiplication soit une division. Tout ne se mélange pas comme dansles relations. C'est clair, précis net, comme un paysage d'été.Pas de fanfreluches, pas de retournements de situations. On va de A àB, en passant par C quelque fois, certes mais dans un ordre qui nousparaît logique. Un triangle n'est jamais amoureux dans un manuel demathématiques, la solitude de l'unité n'est pas un défaut et lecouple n'est pas obligation. X, y, parfois z mais toujours de manièrelogique. Dans la vraie vie il y a l'homme, la femme ou l'autre homme,son ou leurs enfants, l'amant de la femme, la maîtresse de l'homme,la tante qui veut toujours tirer son épingle du jeu, le grand-pèresans manière, l'ami qui ne vous veut pas que du bien et le chienqu'il faut nourrir plus que tous les quatre matins. C'est d'uncompliqué. C'est une grande toile de couleurs ou chacune veut semélanger à l'autre comme si c'en était nécessaire. Parfois lesmélanges sont jolis, harmonieux. Un homme, une femme. Un enfant, sonpoisson-rouge. Une grand-père, son assistante de vie. Parfois, celane résulte qu'en une couleur qu'on ne saurait qualifier, àdominance marron et aux vulgaires reflets de mensonge. Le problèmece n'est pas les mélanges, ce sont les accords. Le jaune contrastetrop avec le violet, parfois ça passe, parfois non. L'Homme veuttoujours essayer, « voir si » et on s'entête, on seforce à tenter notre chance. « Si je ne le fais pas, jeregretterais », certes mais si tu le fais peut-être que tu leregretteras quand même.
Eliott évitaitde se mélanger, de s'enfouir dans des sables mouvants dont il nesortira pas indemne et ce n'était pas de la lâcheté, justement.C'est courageux de dire « non » quand il le faut,courageux de se rebeller, de montrer que nous ne sommes pas d'accordpour ne pas avoir à se rendre l'existence plus difficile.
Ses exercicesterminés, Eliott rangea toutes ses affaires dans son sac et lezippa. La fermeture Eclair faisait des siennes et ne se ferma pasd'un coup. Il faut dire qu'elle n'était plus toutes jeunes. Sesdents étaient cassées et pour elle, pas de dentier malheureusement.Vous imaginez si nous traitions les personnes âgées comme desfermetures Eclair ? A elles aussi, on leur laisse une secondechance, une dernière chance, de vivre dignement, et en compagnie dequelqu'un ou de quelque chose.

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Café noir
Aktuelle LiteraturCa fume. Ca fume dans les esprits et au dessus des tasses car tout est embrouillé. Dans ce nuage de matière abstraite, cette incohérence à elle tout seule, dans ces gouttes d'eau qui sont plus que cela se trouvent des êtres, plus ou moins appréciabl...