Chapitre 1

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Ma joue brulait encore à cause de la gifle que je venais de recevoir. En effet, ma maitresse venait de m'assener une énième gifle et de me traiter de bonne à rien pour la millième fois. C'était elle qui avait besoin d'esclaves parce qu'elle ne pouvait pas s'habiller toute seule, se coiffer toute seule, s'éventer toute seule et bien évidement elle ne pouvait pas se laver toute seule et c'était moi la bonne à rien ! J'en avais assez de me faire traité comme ça ! Au quotidien, en plus! Stella, une autre esclave, et aussi ma meilleure amie me disait que c'était comme ça, qu'on devait apprendre à vivre avec . Moi, je refusais de vivre avec. J'ai souvent dit à Stella qu'un jour j'allais voir le roi Dréam pour lui faire abolir l'esclavage mais à chaque fois elle me répondait :

« Mais oui petite maline, comment feras-tu pour trouver son palais toi qui n'a jamais pu partir d'ici ? Et de toute façon même si tu le trouvais crois-tu vraiment que les gardes feraient entrer une esclave dans le château ? Et puis d'abord qu'est-ce que tu lui dirais au roi Dréam si par miracle on te laissait entrer ? » Je savais que Stella me prenait pour une folle quand je lui disais ça mais j,osais espérer , qu'un jour, tous seraient égaux au royaume de Lunfrey. J'allais faire tout en mon pouvoir pour que ça se réalise. Je ne savais pas encore comment, je ne savais pas quand mais j'étais sûre que j'y arriverais.

Le soleil s'était couché depuis longtemps et pourtant je n'allais pas en faire de même de si tôt. Je devais encore aller aux cuisines pour laver la pile interminable de vaisselles sales que mes goinfres de maitres avaient créé. J'étais exténuée et j'avais mal partout. Je le dis à Adaline, que je surnommais affectueusement "Ada". Elle n'avait que trois ans de plus que moi mais je la considérait comme une seconde mère. C'était elle qui m'avait prise sous son aile lorsqu'ils avaient vendu ma mère il y a 5 ans. Mon père, je ne l'avais jamais connu. Maman m'avait dit qu'il avait été vendu mais elle n'a pas voulu me dire pourquoi. Plus tard, Ada m'avait appris que le maître avait fait ça parce qu'il était jaloux. Le maître voulait garder maman pour lui toute seule parce qu'il l'a trouvait belle.

Je me rappelle encore aujourd'hui de ses yeux de vautour affamé posés sur ma pauvre mère. Je revois encore son regard de loup affamé posé sur ma mère lorsqu'il la voyait travailler dans les champs. Je le vois encore s'introduire dans la chambre des femmes esclaves, la nuit. Je repense au visage déconfit de ma mère a chaque matin. Et plus j'y repense, plus j'ai la nausée et plus j'ai envie de venger ma mère. Un jour, je les retrouverai, elle et mon père.

Mama aimait mon père, alors le vautour s'est débarrassé de lui. Apparement, le démon ne laissait même pas ma mère tranquille lorsqu'elle était enceinte de moi. Ma dame* en a eu assez des infidélités de son mari. C'est pour ça qu'elle a vendu maman. Ce jour-là, le maitre avait frappé sa femme si fort qu'elle était tombée et que j'ai cru qu'elle n'allait pas se relever. C'était la seule chose de bien que ce monstre avait fait dans sa vie. Maintenant, il commence à me tourner autour depuis que j'ai grandi. Il dit que je ressemble à ma mère, que je suis aussi belle qu'elle. J'aimerais pouvoir affirmer que je lui ressemble mais chaque fois que j'essaie de me rappeller de son visage, de ses traits. Je l'oublie de plus en plus. Je l'oublie tellement, que j'en ai mal. Est-ce vraiment possible de ne pas se souvenir du visage de sa mère? De ses mains qui t'ont bercées et consolées à chacune de tes peines? Rien que pour ça je hais, le maitre, je le hais plus que tout au monde. Au moins, je me rappelle du son de la voix de ma mère. Je donnerais tout pour réentendre ce son. 

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Le maître ne m'a pas encore touché mais Stella et Ada disent que ce n'est qu'une question de temps. Il attend que je fasse une erreur et il me puniera ainsi. Alors, mes amies font tout pour rester avec moi dans la minuscule et froide pièce qui me sert de chambre et lorsque je reste tard aux cuisines. D'ailleurs, pour en revenir aux cuisines dès que j'eu dis à Ada à quel point j'étais fatiguée elle me répliqua :

« compte toi chanceuse de ne pas devoir t'occuper des horribles enfants des maîtres, il n'écoutent rien et sont insupportables. J'te jure si je le pouvais je frapperais ces démons»
Et nous éclatons de rire à ces paroles. Ça faisait longtemps que je n'avais pas ris comme ça. Depuis qu'on avait vendu maman je pouvais compter sur les doigts les fois où j'avais ris ou fais un sourire sincère. C'était déjà difficile de rire avant mais depuis que ma mère n'était plus là c'était comme si une partie de moi m'avait été enlevée. Elle me manquait terriblement.

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Plus tard dans la nuit , Ada et moi avions surpris une conversation entre la maîtresse et un homme aux yeux si froids que son regard semblait assassin. Il me donnait froid dans le dos. Ils se disaient cela :
- M. Dashbroom merci de vous être déplacé, murmura la maîtresse.
- J'espère que cela en valait la peine ,répondit l'homme à l'expression figée.
-Monsieur, pas si fort vous allez réveillez tout le monde. Et oui cela en valait largement la peine. Vous voyez la petite esclave ,Ereya, eh bien je suis intéressée à vous la vendre pour un prix très raisonnable.
Je retins un cri d'épouvante. 
- Ah oui? Pourquoi ce changement d'avis soudain, hier encore il n'y avait rien à vendre et aujourd'hui vous m'offrez cette esclave sur un plateau d'argent? Qu'elle est l'arnaque ?
- Monsieur vous me connaissez bien mal pour oser insinuer de telles fourberies. J'ai simplement remarqué que mon mari lui tournait autour et si jamais cela venait à ce savoir je serai encore la risée du village et ...
- Suffit ma dame, le coupa t-il, vos histoires de cœur ne m'intéressent point, cela dit, j'accepte volontier d'acheter cette esclave car, pour ainsi dire, elle n'est pas désagréable à regarder. Elle pourrait me tenir compagnie si vous voyez ce que je veux dire, dit il dans un sourire pervers.
- Mon cher Dashbroom, c'est un plaisir de faire affaire avec vous, dit-elle en lui serrant la main.
J'avais envie de vomir ou de dire à ce dégueulasse et à cette vielle folle ma façon de penser mais Ada m'en empêcha. Elle m'emmena jusque dans ma chambre et me dit alors :
- Tu es complètement folle tu aurais pu te faire tuer. Une chance que j'étais là .
- Je sais, dis-je dans un soupir.
- Ne t'inquiète pas Ereya on ne les laissera pas faire.
- Vous aviez dit la même chose pour ma mère et pourtant je ne sais même pas où elle est aujourd'hui, répondis-je en laissant, malgré-moi, des larmes perler sur mes joues.
- Je sais mais ...
Ada ne put finir sa phrase et se jeta dans mes bras en pleurant elle aussi. Je savais qu'il ne me restait plus qu'une seule chose à faire: partir. Cette nuit-là je dis au revoir à tous les autres esclaves. En particulier à Stella et à Ada. Ils allaient me manquer. Nous formions tous une grande famille malgré notre cruel destin. Je les aimaient et ils m'aimaient aussi. Je ne pris qu'une toute petite escarcelle*, une aumônière* et un balluchon car très peu de choses m'appartenais ici. En fait, je ne m'apartenais pas même pas à moi-même alors . Je n'avais qu'une brosse à cheveux,une petite pelle, de la nourriture, quelques vêtements, d'autres objets et un livre que j'avais pris dans la bibliothèque du maitre. Il n'avait rien de spécial et semblait ancien. Je ne savais pas lire car pour nous les esclaves c'était interdit d'apprendre à lire. De toute façon à moins d'être un philosophe ou d'être un savant la majorité des gens ne savaient pas lire. J'avais pourtant fait une promesse qui m'obsédais à ma mère: apprendre à lire pour pouvoir lui conter une histoire puisqu'elle ne pouvait pas m'en lire une elle-même lorsque j'étais enfant. C'était sur cette pensée que je pris l'un des chevaux des écuries que je dis encore une fois adieux à tous et que j'entamai mon périple dans la nuit sombre. Je devais aller au palais du roi Dréam car il en allait de mon devoir de lui faire abolir l'esclavage, plus personne ne se ferait vendre comme un simple objet. Plus personne ne serais traité comme si sa vie ne valait rien et plus personne ne travaillerais comme des bêtes pendant plusieurs heures sans même être rémunéré. Nous sommes tous des humains et nous ne méritons pas ça. Je ne savais pas comment me rendre au palais, je ne savais pas quoi dire au roi mais je savais une chose ; j'étais sur la route de la liberté.
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Note de l'auteure

*L'image que vous voyez en haut est une escarcelle (petite bourse du Moyen-Âge qu'on s'attachait à la taille).
*Et voici un lien qui montre ce qu'est une aumônière:
http://s2.e-monsite.com/2010/05/29/01/resize_250_250//aumoniere.jpg

*dame au Moyen-Âge fait référence aux femmes mariées.

The missing letter is FOù les histoires vivent. Découvrez maintenant