Il fait presque nuit, et l'océan est vraiment agité. Je n'ai pas du mal à nager, et me hâte pour m'enfuir avant que Luke ne me rattrape. La vitesse de nage d'une sirène n'est rien face à celle d'un triton.
Depuis notre naissance dans ces deux coquillages côtes à côtes, il y presque 19 ans, jamais Luke et moi ne nous étions bagarrés aussi méchamment. Il me reproche d'avoir les pensées trop roses concernant ce qui se passe au delà des mers et des océans. Il me reproche d'avoir une trop belle image des humains, alors que je n'ai jamais posé la nageoire sur la terre ferme.
Je n'arrive pas à me situer par rapport au palais du Pacifique Sud. Il y a de plus en plus de courant, et la seule chose qui peut m'aider à m'orienter est le soleil. Cependant, je ne tiens pas à retourner chez moi. Je n'ai pas envie d'entendre Luke me refaire une morale supplémentaire sur pourquoi les jeunes sirènes n'ont pas le droit de quitter le palais et la bulle marine qui l'entoure.
Je continue ma nage, et essaie d'interpeller un poisson pour lui demander mon chemin, sauf que celui-ci s'étonne de voir une sirène traîner non loin du rivage le plus proche, et s'en va en disant que la jeunesse sous-marine de nos jours part en plancton. Je grogne, et continue d'observer les algues et les coraux qui se trouvent à une dizaine de lieux en dessous de moi. Je suis le parterre de végétation décroissante un moment, et finis par arriver face à un poids de gros rochers.
Je change de direction et nage de plus en plus facilement grâce au courant qui me pousse dans la direction souhaitée. À croire que j'ai de la chance. Je remarque qu'il y a de moins en moins de poissons qui passent par là, et la qualité de l'eau est de plus en plus mauvaise. Elle doit être filée avec bon nombre de produits fabriqués par les hommes, ce qui signifie que ne suis pas loin d'une terre, et selon la sources des rayons de soleil, il est fort probable que ce soit le pays qu'on appelle Australie.
Je m'aide de ma grande nageoire et me hisse à la surface de l'eau. J'aperçois pour la première fois toutes les lumières des habitations du peuple humain qui habite sur cette rive, et reste fascinée face à la différence avec le palais dans lequel j'ai grandi. J'observe avec curiosité ce monde complètement opposé au mien, et continue d'avancer vers la terre ferme. Le buste hors de l'eau, je me laisse pousser le long de la côte jusqu'à arriver à un endroit avec beaucoup trop d'humains, certains debout ce qu'ils nomment bateaux. J'avais déjà aperçu une de ses embarcations avec Luke quand nos étions beaucoup plus jeune, la première fois que Karen, notre marraine, nous avait laissé monter à la surface de l'eau. Mais celles qui se trouvent devant moi sont beaucoup moins imposantes, et toutes petites.
Je ne tiens pas à me faire repérer, alors je replonge jusqu'à une certaine profondeur et me dirige vers une crique, où les vagues ne font que grossir au dessus de ma tête.
J'entends des voix. Deux pour être exacte. Deux voix humaines et masculines très proches de ma position. Je remonte à la surface, ne faisant sortir que ma paire d'yeux bleus, et scrute du regard ce qui m'entoure : Il est tard, et le soleil a presque disparu pour laisser place à la nuit. Les étoiles dans le ciel sont impossibles à compter, l'air est plus frais que plus tôt et Les vagues se cassent sur les rochers de la crique.
« À demain, dit une première voix.
Je regarde vers le rivage, et y vois deux silhouettes. Deux hommes, qui ne paraissent pas beaucoup plus âgé que Luke, sont torse nu et tiennent chacun une grande planche de bois bien taillée et joliment peinte de motifs et de couleurs.