Chapitre 8. Fin de partie.

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CHAPITRE 8.

FIN DE PARTIE.

Une semaine. Juste une semaine de plus. C'est ce qu'on a eu.

Je m'habitue aux docteurs, aux infirmières, au fait de sortir lors de certains soins, pour la perf d'antibiotiques, la sonde, tout ça. Le lundi, Armel refuse de manger. Il a plus faim. Il peut plus. Il a aussi commencé à dormir de plus en plus, et très profondément. Mercredi, quand j'arrive, il a les yeux ouverts. Une après-midi entière nous attend, et il voulait faire l'effort. Il tient une heure, en me souriant, et en m'écoutant lui parler de mon cours de piano. D'après Clara, j'ai encore mieux joué que la semaine précédente. C'est Armel qui me tient, qui me rend plus doué, plus enflammé.

Jeudi et vendredi, il me sourit, avant de se blottir contre moi. On reste comme ça jusqu'à la fin des heures de visite. Armel me tient, et je me dis que je le tiens aussi, qu'il va garder la tête hors de l'eau, nager vers la plage, et se mettre debout.

Samedi, avant d'entrer, j'entends le médecin, qui parle avec Isabelle tout près de la porte. Il dit qu'Armel s'en va tout doucement, et qu'il se rendra probablement pas compte de la fin. Pour la première fois, je sens des larmes, brûlantes. Elles me piquent les yeux, avant de descendre sur mes joues. Le médecin, il pose sa main sur mon épaule, et puis il sort. Isabelle a pris sa place dans l'immonde fauteuil orange, et comme d'habitude, je me couche contre Armel. Sa respiration est bizarre. Pas plus bruyante, non, mais y'a de grands silences parfois, rien n'entre ou sort de ses poumons, on dirait. Je vois pas ses yeux gris, obstinément clos.

Alors je chante, un truc tout con, le premier qui me passe par la tête, ce que Julie fredonne sans cesse pour Lou. Tourne tourne petit moulin, tape tape petite main... Armel, il ouvre les yeux, enfin. Ça a dû le faire réagir, probablement parce que j'ai jamais su chanter.

- Les étoiles, même les plus petites, auront toujours plus d'éclat que celles qu'on fabrique, il dit.

Je me redresse, je regarde Isabelle.

- Cette phrase vient d'un devoir, elle explique. C'était un sujet de réflexion, une question philosophique à laquelle Armel devait répondre, quand il allait encore au lycée. Ça parlait des vraies valeurs, de celles qu'on ne doit jamais perdre de vue. Armel a expliqué que tout ce qui venait de la nature inspirait de vraies valeurs, et poussait l'homme à se surpasser. La beauté d'une étoile, d'un amour naissant, par exemple...

Elle met sa main devant sa bouche, secoue la tête. Elle peut plus continuer. J'agrippe Armel, qui a déjà refermé ses beaux yeux gris.

- Je t'aime, il souffle, très bas. Tu es l'étoile qui m'aura inspiré le plus de changements... Tu as fait de moi un autre...

- Toi aussi, j'affirme, au creux de son oreille, tu as fait de moi quelqu'un d'autre.

Il dit plus rien il bouge plus. Il part. Et moi, je veux vivre, férocement, pour lui, pour moi, je suis pas désespéré, je suis guidé. Il m'a changé, je l'ai changé. J'ai réussi ça, moi ? Je veux continuer. Après lui.

Le dimanche, quand je me réveille, je constate que j'ai laissé mon téléphone se décharger complètement. Quelle buse. Je le branche, et je file sous la douche. Quand je reviens, je m'aperçois que j'ai un message d'Isabelle, et qu'elle l'a laissé deux heures plus tôt. Elle me dit que je dois venir, que c'est le moment. Je comprends ce qu'elle veut dire. Et je réalise aussi, plein d'horreur, qu'il s'est écoulé deux heures.

Deux heures ! Je sors en trombe, et en voyant la tête de Julie et de mon père, je me dis qu'ils ont compris. Je cours comme un dératé. Pourvu qu'il soit pas trop tard. Je veux lui dire au revoir. Je veux pas qu'il parte sans qu'on se dise au revoir. Au revoir et pas adieu, c'est une autre de mes certitudes.

Je me traite aussi de tous les noms. Comment j'ai pu oublier mon téléphone, et le laisser se vider ? Je m'adresse directement à Armel, je lui dis qu'il est fort, qu'il doit m'attendre.

Je traverse sans regarder. Une femme hurle, en même temps que crissent des pneus. Je me fais insulter par le conducteur. Je me jure de faire gaffe, il s'agirait pas que je me mette dans l'impossibilité de rejoindre Armel en me faisant renverser, tuer. Je m'excuse, repars de plus belle. Quand j'arrive dans la chambre, je vois les deux infirmières que je commence à connaître, qui discutent avec Isabelle, et elles regardent toutes les trois le lit. Est-ce qu'il est ?...

- Mon téléphone... s'est déchargé, je bégaie. Putain de... téléphone...

- Armel t'attendait, elle me dit, Isabelle, comme s'il allait se lever, et s'habiller, pour se promener avec moi.

Y'a plus de perfusions, y'a plus rien, sur le corps de mon ange. Il s'endort paisiblement. Quand je me penche, je constate que son souffle est presque imperceptible. Je sais pas qui je dois remercier, mais de savoir que je suis arrivé à temps, j'ai envie d'embrasser tout le monde. De pleurer, aussi, à nouveau. C'est ce que je fais, d'ailleurs, pelotonné contre Armel.

La journée s'écoule, et je la vois même pas disparaître, je m'en rends compte lorsque je réalise qu'une nuit givrée s'est abattue sur l'hôpital. Y'a des étoiles, dans le ciel, je les vois à travers le carreau gelé. Des petites, comme dans le devoir d'Armel, des dizaines de petites étoiles. Je me remets à fredonner tous les airs que j'ai joués au piano, c'est mieux que chanter, vu ma voix. J'aimerais que ces airs, après, m'aident à me souvenir de cette nuit.

Les visites sont terminées depuis longtemps, mais comme c'est la dernière nuit, on m'a permis de rester. Pour être exact, on m'a rien dit, c'était évident que je devais rester où je suis, contre mon amour qui me quitte. De l'autre côté du lit, Isabelle tient la main de son fils.

J'entends juste sa respiration, un tout petit peu plus forte, et plus rien. Armel a pas tressailli, il est resté immobile. C'est fini, dans une douceur incroyable. Je crois distinguer un léger sourire sur ses lèvres. Son beau visage est paisible. Tranquille.

Une grande lumière dorée, venue de nulle part, éclaire vivement toute la chambre. Je sais qu'elle est aussi extraordinaire que les rayons qui l'avaient traversée, la semaine passée, ou le bruissement des ailes. Je regarde Isabelle, qui me regarde. Elle a pas l'air étonné, comme si elle s'attendait à ça.

Elle met un doigt sur ses lèvres. Il faudra que je garde le silence. Ses yeux se fixent sur la fenêtre. Je tourne la tête, retiens un cri. Près du carreau, y'a une forme sur laquelle on peut pas se tromper. C'est pas un humain. C'est un garçon, il se tient de profil, tête baissée.

Et soudain, je vois des ailes jaillir de son dos, pousser, se développer, avant de se déployer. Elles sont immenses, impressionnantes. Le bruissement est plus fort que jamais, et jamais aucun bruit a été aussi beau, pour moi. Les ailes battent avec grâce. Le garçon, non, l'ange, lève la tête. Et la tient bien droite. Je vois toujours que son profil, et il est si éblouissant, que je distingue pas bien ses traits. Mais de toute façon, je sais.

La lumière et l'ange disparaissent ensemble, peu à peu. Les ailes continuent à s'agiter, même si leur bruissement est de plus en plus éloigné. Quand il reste plus que la clarté venue des étoiles, Isabelle vient poser sa main sur mon épaule.

- Il faudra te taire, Lucas, pour lui. Il voulait te montrer. Mais tu ne dois rien dire, jamais.

- Je le jure, je fais, d'une voix solennelle et ferme, malgré mes larmes, qui recommencent à couler.




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