Face de Crapaud

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« J'étais laid. Mais je n'étais pas simplement laid, j'étais le plus laid, la personnification de la laideur. Me traiter de laid était un euphémisme. Rien que mon visage était une monstruosité. Il n'avait rien de beau. Il était un mélange d'une laideur héréditaire et de malformations congénitales. Le reste de mon corps n'était pas moins laid, mais il servait au moins à quelque chose et il avait au moins une forme humanoïde. Et malgré ma bosse apparente, je ne pouvais pas mériter le surnom de tous les bossus : Quasimodo. »

« Pourquoi ? »

« Mon visage était tellement laid qu'il détournait l'attention des autres défauts de mon corps. Et depuis que ma conscience commençait à se réveiller, j'entendais le surnom « Face de Crapaud » que j'avais acquis probablement avant d'acquérir la marche ou la parole. »

« Que pensez-vous de ce surnom ? »

« Avez-vous déjà vu la face d'un crapaud, Docteur ? Elle est symétrique, fine, je la trouve même particulièrement bien faite. Je ne suis pas aussi beau qu'un crapaud. »

« Parlez-moi de votre animal de compagnie. »

« Cet animal m'offrait ce qu'un être vivant dans ma peau ne pouvait rêver d'avoir : de la compagnie et de la proximité. Je pouvais le toucher sans qu'il hurle de dégoût, je pouvais lui adresser la parole sans qu'il me regarde avec mépris, je pouvais l'observer sans qu'il m'adresse sa pitié. Vous savez, Docteur, on répète sans cesse que la véritable beauté est la beauté intérieure. Je me rendais compte avec le temps que sans beauté extérieure, personne ne voudrait découvrir la beauté intérieure. J'avais passé beaucoup de temps à cultiver une beauté intérieure, pensant qu'elle rendrait ma vie meilleure et m'offrirait de la compagnie. Elle m'avait simplement rendu plus misérable, plus pitoyable, plus pathétique. Je recevais les coups et répondais pas un sourire, un sourire qui provoquait encore plus de coups et de moqueries. Je préférais pourtant le statut de « monstre terrifiant » à celui de « monstre pathétique », la peur me protégeait au moins des attaques gratuites. Mais j'avais continué à la cultiver, cette beauté intérieure. Mais je ne faisais qu'arroser la graine d'une plante délicate placée sous un énorme caillou. »

« Donc vous avez décidé de cesser de la cultiver, si j'ai bien compris. »

« Non, j'ai décidé de permettre aux autres de la voir. »

« Que s'est-il passé ? »

« Ce jour-là, mon crapaud est mort. Je me suis senti seul, donc je suis sorti pour me promener. Et là, une vielle dame s'est approchée de moi et m'a demandé poliment si je pouvais l'aider à traverser la route. Elle a même complimenté ma gentillesse. On n'a jamais été aussi aimable avec moi. Et ce soir-là, j'ai fini par comprendre ce que je devais faire. Cette femme a vu ma beauté intérieure parce qu'elle n'a pas été repoussée par la laideur de mon corps. Elle était aveugle. »

« Parlez-moi de vos 24 meurtres et des 8 autres tentatives. »

« Je ne voulais pas les tuer. Je voulais juste les aider à mieux voir le fond des choses. Alors je leur ai simplement arraché les yeux et cousu les paupières. Je n'ai tué que ceux qui m'ont insulté. Ils ne méritaient pas de voir la beauté de toute façon. »

« La séance est terminée. Ramenez-le dans sa cellule. »

Il tourna la tête pour regarder le psychiatre une dernière fois et dit :

« Avez-vous réussi à la voir ? »

« Avez-vous réussi à la voir ? »

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