Anthologie : One Shots Musicaux

R.I.P to my Youth

Morceau pour accompagner la lecture : R.I.P 2 My Youth par The Neighbourhood (2015)

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« T'es qu'un bel enculé. »

Le jeune homme avait hurlé ces mots au pont sans s'encombrer des convenances imposées par ce lieu prétendument public. Qui, à cette heure tardive (ou matinale, selon le jugement de chacun), se trouvait être désert. Le monde semblait avoir fait place au silence et à l'absence pour rendre les derniers hommages au brun qui se tenait debout sur la corniche d'un blanc sale et vieilli du pont. Pont qui, malgré son apparence délabrée et lézardée, reliait les deux rives d'une autoroute bruyante et pour tout dire monstrueuse.

« Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu-... », croassa-t-il en retour, suspendu entre la terre ferme et l'asphalte granuleux, six mètre plus bas.

Sam l'avait suivi. Ou tout du moins avait-il deviné l'exact endroit où Tristan irait. Parce qu'il le connaissait si bien. Si bien qu'il avait réussi à s'effondrer lamentablement en lui-même, dans un vacarme qui lui avait semblé assourdissant et terriblement long, sans même qu'il s'en aperçoive. Comme un très long cancer. Un très, très long cancer, durant lequel Tristan avait agonisé au sol, en hurlant. Il ignorait cependant que les hurlements poussés de l'intérieur du cœur ne s'introduisent pas dans le monde extérieur. La surdité guetterait l'ensemble de la population, pensez-vous. Et peu de gens ont l'ouïe assez fine pour distinguer les gémissements du cœur au creux des paroles exhumées pour détourner l'attention.

Il avait bien essayé, évidemment. Essayé de dissimuler sa tumeur silencieuse et invisible. Même à son propre ami, son ami si proche, bien trop proche. Son Sam. Celui qu'il aurait voulu chérir pendant encore si longtemps. Même lorsqu'il tenait son Sam si proche de son cœur lors de ses moments de doutes, et qu'il ressentait les morceaux de son être qui semblaient si solides s'écraser au sol et éclater en millions de morceaux, il avait essayé.

Après avoir arraché ces quelques mots à sa gorge brûlée par l'air pollué qui s'élevait vers lui depuis une demi-heure, il fixa son regard au loin. Au-delà d'une étendue de forêt et de plaine, au milieu desquelles serpentaient la route sombre, sur laquelle se déplaçait des milliers de voitures. Il ferma les yeux. Il voulait les fermer si fort, si fort. Il n'entendait plus le bruit assourdissant et menaçant de la circulation, ni automobile ni sanguine, celles qui battaient au creux de son tympan. Il se promit, lorsqu'il serait parti enfin pour le grand voyage, de veiller sur Sam. Uniquement en pensée, s'il le fallait. Il ne voulait pas qu'il voie cela. Sam méritait de voir le Beau, le Grandiose et l'Harmonie. Choses qu'il semblait avoir toujours vu en Tristan, en lui. Sam ne devait pas être dithyrambique à son propos. Lui, si clairvoyant à l'accoutumée, aurait dû voir le démon qui s'installait et s'imprégnait en ses tissus. Ce voile noir qui recouvrait ses pensées et ses souvenirs. Il aurait dû distinguer également le désordre que devenait ses pensées. Il aurait dû courir si loin de lui. Il aurait dû le laisser se consumer seul.

Mais Sam était un genre de teigne. Une teigne du bonheur, une sorte de microbe indéfectible qui répandait autour de lui une aura de joie et de gaieté qui ravissait ceux qui l'entouraient. Le monde flottait autour de lui comme des papillons attirés par la lumière. Et à sa lueur, tous paraissaient magnifiques. Tristan se demandait parfois pourquoi ce dernier restait à ses côtés. Il était si ... commun ? Oui, commun. Extérieurement, par instinct de survie, il s'était conformé à ce que l'on voyait de toutes parts. Il était le même que tous les garçons de dix-neuf ans. Il avait aplani ses idées et ses convictions, il en avait fait une couverture si fine, si discrète, sous laquelle il se lovait et regardait sa vie lui filer entre les doigts. Alors pourquoi lui ? Sam, si actif, si rayonnant. Tellement passionné. Un gosse qui possédait une rage de vivre, une rage si différente de celle qui le rongeait actuellement.