Hésitation (1)

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C'était le matin. Ou alors l'après midi, peu importe...
On était tous là, assis sur nos chaises grinçantes comme à notre habitude, dans la salle de classe.
Le silence était lourd et il y régnait un air brumeux, comme dans un rêve...

J'écrivais, je crois. Ou alors je regardais par la fenêtre. Qu'y avait-il dehors, à ce moment-là? Des corbeaux, oui, c'est cela. Un corbeau, ou plusieurs? Non, une nuée, c'est vrai. Il y avait une nuée de corbeaux qui passait au-dessus des arbres. Ce n'est pas la peine de les décrire, ses arbres... Ils étaient comme d'habitude, ils sont toujours là d'ailleurs, plantés au milieu de la cour avec leurs branches dénudées et leur air triste et ennuyé... Non. Les arbres n'ont pas de visage, c'est vrai. Dans ce monde, les arbres n'ont pas autant d'importance que les humains, bien sûr, parce qu'apparemment ils ne sont pas supposés avoir une conscience et...
Et je m'égare.

Donc je regardais par la fenêtre, je pense, et je laissais mes pensées couler, tout simplement.
C'est alors que cette personne l'ouvrit. La porte, je veux dire. La porte de la salle de classe... qui s'ouvre... et puis lui qui entre... Enfin qui entrait...
Parce qu'il n'est plus là, maintenant, je crois. Enfin c'est sûr. Je suis seule dans cette chambre, à écrire ce texte, à présent. Je le crois bien...

Il était donc rentré, et c'est à ce moment là que j'ai vu, j'ai senti, tout en cette personne m'a frappé, tout qui est si néfaste, horreur, c'était si néfaste...
Et puis son sac rouge, rouge comme le sang. Du sang, du sang, du sang, son sac en était teinté... Non, je veux dire qu'il était juste rouge, c'est tout. Je crois.
Ce garçon était de taille moyenne, mais cela n'a pas trop d'importance, en réalité... Il avait des cheveux noirs et sombres comme la nuit, mais finalement peu importe...
Il avait aussi des yeux sombres, cela au moins j'en suis sûre, il avait des yeux sombres qui engloutissaient le monde, des yeux dans lesquels on se noyait, des yeux sans lumière, des yeux terribles sonnant comme une prédilection.
Je me souviens... il dégageait quelque chose de tordu, pas très net, qui semblait se tortiller à l'intérieur de lui, cette chose que je sentais très fort et qui m'a fait si mal lorsque j'ai croisé son regard.
Oui, là je n'hésite plus, je suis sûre qu'il y avait eu tout cela, cette présence bizarre...

Je me souviens aussi qu'après son entrée tout me parut différent, comme si le monde autour de moi était devenu plus flou, plus étouffant peut-être, comme si les brumes autour de nous s'étaient faites plus épaisses.
Le chuchotis qui s'était propagé à ce moment-là parmi les autres élèves n'avait fait qu'aggraver les choses, ma tête devenait si lourde...
Et puis lui, le nouveau, il s'était installé à une place avec une indifférence qui m'avait fait pour je ne sais quelle raison frissonner.
Je crois que le pressentiment en moi et la lourdeur de ma tête ont d'autant plus augmentés lorsque le professeur l'avait présenté, lui, d'une voix morne, et lorsque les bruits autour de moi ont eu l'air de s'amplifier dix fois plus.

Stylo qui tombait puis roulait sur le sol. Roulait, tombait. Tombait, roulait. Je ne sais plus dans quel ordre, l'hésitation me revient en se rappelant les moments après son entrée dans la classe...
Sac rouge comme du sang, sac rouge...posé par terre. Voix morne, ennuyeuse et sans intérêt, non, sans intérêt. Bruits dans la classe, bruits, chuchotements continus, voix sourdes, tout qui gronde, gronde encore... Que disait la voix, que disaient les voix? La voix morne...elle disait: "Nouveau...Accueillir... Dans votre classe... joie d'accueillir...". Je crois.
Mais c'était une voix stupide, voix naïve, voix inconsciente de la personne dont elle parlait.

Un autre objet tombait, bruit fracassant par terre; c'était une règle métallique. Le fracas résonnait dans ma tête, il vibrait, j'avais envie d'hurler, hurler encore.
Et lui, il s'était retourné. Vers moi. Il avait pénétré mon regard, il avait fait voler en éclats la bulle protectrice que je m'étais forgée autour de moi, il m'avait faite prisonnière une seconde seulement avant de tourner la tête et de me libérer...

J'en suis sûre, maintenant. Je comprends enfin mon pressentiment, celui dont j'ai été la seule à avoir. Je n'ai plus aucune hésitation, non, plus de bruit, de regard sombre ou de sac rouge pour m'empêcher de réfléchir. Plus d'absurdité, juste la vérité. J'ai compris tout de suite qui il était, en fait, et je comprends encore mieux maintenant...
Lorsque le monstre était entré dans la classe, personne n'avait compris ou pressenti son arrivée. Moi si. Et j'ai été la seule, la seule à avoir assez d'intuition pour sentir que quelque chose clochait chez cette personne.
Et eux, les autres, qui se moquaient toujours de moi, qui me traitaient de folle, de bizarre, de sorcière...
Je l'avais pressenti, mais j'avais hésité face à ses toutes premières impressions et maintenant il est trop tard...

Hésitation, recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant