le flou et le froid

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Il existe des instants aussi flottants que des rêves. Des instants d'une rondeur parfaite, sans fissure, un véritable cocon d'impressions où l'on se laisse aller et d'où on ne sort plus. Des instants d'un flou parfait, qui plane juste devant nos yeux, à travers la lumière du soleil. Ce fut cet instant-là que je ressentis tandis que je me trouvais bercée par le ronronnement sourd de la voiture et du crachotement doux de la radio. Au dehors, l'hiver agrippait de ses griffes sévères le paysage de la campagne. Les champs étaient coupés au ras, les herbes mornes, les arbres raides, leur branches pointues. Cette vision était adoucie par le soleil qui brillait d'un bel éclat, un éclat froid mais vivant, une couche de neige sous laquelle on ressent battre une vie pleine de chaleur.
La chanson qui émanait de la radio était vibrante de voix mixtes à l'unisson, entonnant un chant en langue slave, et c'était cela qui m'avait réveillée. C'était cela qui avait créé un instant de flou, au croisement du paysage hivernal, du soleil froid, du sommeil léger et de la tristesse et la fatigue qui planent sur les visages. C'était très beau, cet instant de flou dans l'hiver. Une chaleur inattendue. Peut-être à cause de la chanson. Je ne sais pas. Je ressens seulement, en mon intérieur, un vent balayer une plaine enneigée où est plantée une croix noire de cendres, les cendres du corps, le corps du mort. Je m'imagine approcher la croix, déposer quelque chose, une fleur peut être, puis apercevoir des ombres, un rassemblement d'ombres humaines, et voir alors que ce n'est pas moi la plus touchée. Que ce n'est pas moi qui ressent des piques glacées dans tout le corps. Je vois les ombres et comprends que je suis dans le flou, moi, que je ne vois pas toutes les strates dures et rocailleuses de la réalité. Les histoires de famille, une autre génération, le décès d'une personne aimée, beaucoup aimée malgré tous ces défauts, tous ces problèmes, tout son passé. J'observe l'autre génération de loin, les ombres rassemblées autour de la tombe de mon grand père. Quelque chose picote mes joues, et je crois bien que c'est ma réception de leur tristesse qui fait cela. J'ouvre les yeux, et je vois le chemin de la procession pour l'enterrement, les personnes qui avancent avec lenteur, la bizarrerie des enfants qui jouent dans le parc juste à côté, l'église, la voiture garée avec la radio éteinte. Je n'entends plus de chanson. Des reniflements, c'est tout. Il fait très froid. L'instant de flou s'envole, la chaleur de ce cocon avec. Le froid pénètre tout mes membres. Je me tais et écoute l'instant du silence. Le silence de l'hiver. Je ferme puis rouvre les yeux. C'est flou. Je pleure.
Le flou et le froid. C'est ce qui plane auprès de la mort, et de l'enterrement. C'est ce qu'il y a devant mes yeux et dans mon corps.
J'ai froid.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 24, 2017 ⏰

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Hésitation, recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant