Piétinant les feuilles, s'époumonant en cris gutturaux,les trois rabatteurs arrivèrent en courant vers leurs compagnons de chasse. Ils étaient essoufflés et à bout de force, hormis l'un d'eux, plus grand et plus élancé encore que Wakiza : c'était Waban, son frère.
« -Vous les avez manqués ? Comment avez-vous put les manquer ! Sahale, je t'avais dit de me prendre moi plutôt que Wakiza !
-Du calme, Waban. Tu t'agite bien trop.
-Il a raison, Sahale. Celui qui était parvenu à parler malgré son souffle court était Paco, le chasseur le plus expérimenté de sa tribu, hormis bien sûr Sahale. Cela fait des jours que nous n'avons rien prit et les baies ne suffiront bientôt plus. Même le sang commence à sécher dans l'outre. Laisser passer une proie par simple goût de l'entrainement est un luxe que nous ne pouvons nous offrir.
-Mais Wakiza n'a pas manqué sa cible. Ni moi non plus, cela je peux vous l'assurer.
-Ouais ? Et où est la viande alors ? Hein ?Où est la trace de sang que l'on peut suivre ? Montre nous donc ce gibier que vous avez marqué de deux coups au but !
Imperceptiblement, du moins l'espérait-il, Wakiza se mit à trembler. Son grand frère réussissait toujours tout ce qu'il entreprenait, mais il mettait bien trop de passion dans la moindre chose. Lorsqu'il se mettait en colère, c'était toujours d'une manière terrible : il lui était arrivé de détruire toutes ses armes pour une histoire de concours de tir qu'il avait perdu. Celui qui était alors son ami l'avait simplement regardé faire, pour ensuite lui dire qu'il avait gâché de bonnes lances pour un simple pari. « C'était les briser elles ou tes os ! »Avait répliqué Waban, son regard fou plongeant dans celui, médusé, de son ami. Depuis, chacun évitait de se mettre entre lui et ce qu'il voulait détruire.
-Je vous le répète et vous prie de me croire : ni moi ni Wakiza ne sommes en tord. Seulement, personne, pas même toi Paco, n'aurait put abattre cette bête. Dites-moi, combien de cerfs avez-vous vu ?
-Cinq. C'était à présent Yahto, frère de Paco, qui recouvrant la parole avait répondu au vieux chasseur. Sans compter les faons. Quatre biches et un grand mâle.
-Que veut tu dire par grand ? Était-il gigantesque ? Avait-il des bois pareils aux branches des arbres, et des jambes semblables à leur tronc ? Avait-il un pelage pareil à des rayons de soleil dansant sur une pierre claire ?
Tous regardaient Sahale : si quelque chose de magique était en cause, il n'y avait que lui pour le savoir.
-Ce n'était pas les cerfs que vous traquiez que nous avons vu. Nous avons eu une vision. Mais je ne sais ce qu'elle signifie.
-On ne se nourrit pas d'une vision ! Pourquoi les esprits ne nous envoient-ils pas bonne chasse, plutôt que des rêves ?
-Tait-toi Waban ! Tu ne sais plus ce que tu dis ! Et comme il parlait, le jeune homme détourna la tête, une rage sans nom s'endormant au fond de ses yeux. »