Trois

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Il est vingt-deux heures trente. Je suis sur le même tabouret depuis dix-neuf heures. J'ai une horrible envie d'aller pisser, mais je ne veux pas perdre ma chanteuse des yeux. Elle est trop précieuse.

Parfois, elle doit sentir mon regard insistant, elle se retourne donc pour croiser mes yeux. Jamais je détourne mon regard. Je ne sais pas de quoi j'ai l'air, surement d'un fou qui a repéré sa prochaine victime, mais à aucuns moments elle me paraît apeurée.

Les joueurs de Jazz ont réquisitionné son attention, et je me languis de voir de nouveau ses prunelles surprises. Si elle décide de quitter le Bar, je partirai à sa poursuite. Je la rattraperai dans la rue, je lui prendrai la main, et je me déciderai à lui parler. Je crois au fait qu'elle m'a remarqué. J'espère que ce n'est pas pour rien qu'elle me dédie ses premiers regards, comme pour me dédier ses musiques. Mais son attitude presque nonchalante à mon égard me donne du fil à retordre. Mon égo de mâle ne sait pas comment réagir à cela, et ma fierté ne souhaite en aucun cas se prendre un râteau.

Elle se lève soudainement quand le groupe de Jazz termine son interprétation et je me lève aussi d'un bond, faisant crisser ma chaise sur le sol. Plusieurs têtes se tournent vers moi, dont celle de ma chanteuse. Son sourire moqueur fait accélérer la course de mon cœur, elle et se dirige vers les toilettes, le sourire aux lèvres. Je me rassois, un peu honteux mais aussi frustré de devoir encore attendre avant de pouvoir lui parler. Je sais que je pourrais aller la voir et l'aborder devant les gens avec qui elle est assise. Mais je veux la dévorer des yeux sans que d'autres espionnent tout ce que je veux lui faire ressentir à travers mon regard. Je veux qu'elle éprouve la même chose que moi quand ses yeux interceptent les miens.

Elle sort des toilettes, et retourne s'asseoir, cette fois-ci, sans croiser une seule fois mon regard.

Le BarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant