Chapitre 1

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Vendredi 6 février 2015, 19h.


- Maman ! Viens voir !

Je laissai mes fourneaux quelques instants - la bonne odeur de ce petit plat mijoté commençait à se répandre partout dans l'appartement - et après m'être essuyée les mains, je me dirigeai vers la voix de ma fille aînée. J'avais cru percevoir de l'inquiétude dans sa voix, et en arrivant dans le salon, cela se confirma. Je lui découvris un visage presque effaré qui me fit mal au cœur. Il ne fallait pas chercher la cause très loin ; aux informations, les images d'un attentat défilaient. Et ma pauvre Mélissa, qui venait d'avoir quatorze ans et qui était un véritable rayon de soleil, je la sentais au bord des larmes. Je pris le temps de lire les précisions sur l'écran tandis qu'elle se blottissait dans mes bras. Oh non... C'était Paris qui avait été visée. Paris. Notre ville. Dans une école ! On attentait à la vie de nos enfants ! J'avalai difficilement ma salive. Quel monde étions-nous en train de laisser à nos descendants ? Heureusement, la bombe avait explosé plus tard que prévu. Mais même après la foule, elle avait fait cinq victimes. Deux jumeaux, l'un de leurs amis, et les deux mamans de ces enfants plein de vie. Cinq victimes de trop. Au moins deux familles choquées, peut-être même détruites. Et cinq destins brisés. Ce fichu terrorisme, qui augmentait ces derniers temps, détruisait tant de choses ! Je caressai les cheveux de ma grande avec amour, et espérai que Daniel, mon mari, et Julien, mon petit garçon, se dépêchent de rentrer du club de basket. Ils en étaient passionnés tous les deux. Finalement, lorsque je retournai à la cuisine pour vérifier que ma viande ne fût pas trop cuite, j'entendis la porte de l'appartement s'ouvrir et se refermer ; un rire retentissait également. Puis il se stoppa. Daniel venait sûrement de tourner la tête vers la télévision encore allumée.

- File à la douche, petit bonhomme ! dit-il en adoptant un ton joyeux.

Puis il me retrouva dans la cuisine et me prit dans ses bras. Il était redevenu sérieux. Il me dit qu'il se sentait mal, qu'il avait connu l'une des victimes. Ils avaient été dans le même lycée. Elle l'avait aidé parfois, dans certains cours qu'il avait du mal à suivre. Ils s'étaient rapidement perdus de vue, mais il l'avait reconnu immédiatement sur la photo diffusée aux infos. J'étais peinée de voir ainsi l'homme que j'aimais. Je lui pris la tête dans mes mains et essayai de le réconforter. Il continua de me parler d'elle pendant une bonne dizaine de minutes. Il se remémorait soudain de nombreux souvenirs partagés avec la dénommée Laurence. Et j'écoutais, car je savais que cela lui faisait beaucoup de bien. Depuis notre rencontre, il s'était toujours confié à moi. J'étais heureuse de savoir qu'il me faisait vraiment confiance, et qu'en retour je pouvais avoir confiance en lui.

- Je pense qu'un bon repas me fera du bien, conclut-il.

- C'est prêt dans deux minutes, mon cœur.

Je demandai à Mélissa de mettre la table, et surtout de couper la télévision, pour se permettre de penser à autre chose. Depuis l'annonce de la nouvelle, je n'avais pu m'empêcher de me dire que cette école aurait pu être celle de mon fils. Mais bon. Il était inutile de se laisser submerger par l'angoisse.

Julien, durant le repas, semblait tout excité. Son entraîneur lui avait fait plusieurs compliments tout au long de la séance, et son père aussi semblait fier de lui. De toute façon, qui n'est pas fier de sa progéniture ? Malgré les tristes événements, et grâce à l'insouciance encore intacte d'un enfant comme Julien, la soirée fut finalement gaie. Et je profitai silencieusement de cette petite vie de famille qui me plaisait tant.

- Et toi Annick, tu as passé une bonne journée ? me questionna soudainement Daniel.

- Oh oui, comme d'habitude, fis-je dans un sourire.

Un Regard HumainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant