Prologue: Cinq ans plus tôt

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Je déteste cette journée. En réalité, je déteste toutes mes journées depuis huit ans. Et encore plus les soirées. Parce qu'il rentre du travail et je sais alors ce qui m'attend.

Je suis en train de préparer le dîner quand j'entends le moteur de la voiture dans l,'allée, devant notre maison. Mon cœur se serre. Je déteste aussi ce bruit. Je hais tout ce qui touche de près ou de loin à Max. Au début de notre relation, je vivais un bonheur sans nom avec Maxime Bartélemy. Nous nous sommes rencontrés au bal de fin d'année, au lycée. Il était de loin le plus beau garçon de la région avec ses cheveux mi-longs et surtout ses yeux verts hypnotisant. Impossible de ne pas tomber sous le charme de son physique. J'ai immédiatement accepté sa demande en mariage quatre mois après notre premier baiser, malgré la désapprobation de mes parents. Il disaient que j'étais trop jeune, que notre relation était trop fraîche pour prendre une telle décision, que de nos jours on ne se mariait pas à seulement dix-huit ans. Je leur ai répondu que j'aimais Max, qu'il était l'homme de ma vie. J'y croyais dur comme fer jusqu'à ce qu'il m'inflige sa première gifle, quelques semaines après notre mariage auquel aucun de mes parents n'a assisté.

Depuis ce jour, je vis un véritable enfer. Max m'a complètement monopolisé. Après avoir obtenu mon bac, il n'a pas voulu que j'aille à l'Université pour poursuivre des études d'avocat. Il m'a éloigné de tous mes amis, ma famille... Tout le monde à qui je tenais plus que tout ils m'ont tous tourné le dos à cause de Max et je n'ai rien pu faire pour les retenir, ni pour empêcher mon mari d'agir ainsi.

Je m'affaire à nettoyer la cuisine quand la porte s'ouvre sur Maxime... et ses copains. Oh non pas eux ! En voyant Jason, Julien et Damien, je sais déjà que je vais passer une de mes pires soirées.

- Salut chérie.

Je sursaute quand la main de Max vient claquer mon jeans recouvert de farine, au niveau des fesses. Puis il va s'affaler sur le canapé et allume la télé sur la chaînes des sports, comme s'il ne venait pas de me faire un mal de chien. Il fut un temps ou Max excellait en football. Il rêvait de devenir pro, mais sa blessure au genou l'a obligé à faire une croix sur sa carrière sportive. Je crois que c'est la raison de son comportement, aujourd'hui. Ça et le suicide de sa mère, la même année. Son métier d'entraîneur l'aide à remonter un peu la pente qu'il a dévalée, je pense. Il n'agit pas sur le stade comme à la maison sinon il aurait été viré depuis longtemps. Ou alors c'est moi qui ne suis pas assez bien pour lui. Je ne fais pas ce qu'il faut pour le rendre heureux. Ce n'est pas faute d'essayer de faire de mon mieux, pourtant. Je m'applique dans mes tâches, je ne sors pas sauf le samedi pour faire les courses avec lui, je fais le ménage, de bons repas qu'il aime... Mais parfois, cela ne suffit pas et je me retrouve agonisant contre un mur.

Je retiens ma respiration quand Julien s'approche de moi par derrière pour soulever ma longue chevelure d'ébène et déposer un baiser dans mon cou. Un frisson me parcourt l'échine. Pas un frisson de plaisir, non, un frisson de peur. J'ai envie de vomir chaque fois que l'un d'eux pose ses lèvres sur moi. Damien a l'air plus gentil que les autres. Si Max connaît Jason et Julien depuis la fac, ce n'est que la troisième fois que je vois Damien. Quand celui-ci me regarde, c'est avec des yeux bienveillants. Je ne sais pas si c'est leur couleur bleue qui me paraît douce qui me fait penser cela mais ils me rassurent un peu, quelque part. Il me gratifie simplement d'un sourire quand il passe

devant moi pour rejoindre Max et Julien sur le sofa.

En dehors de mon mari, c'est Jason qui m'effraie le plus. Du haut de ses deux mètres, ce sud-africain de trente-deux ans est hyper intimidant. Un regard de sa part et vous êtes prévenu(e) qu'il ne vaut mieux pas que vous lui cherchiez des noises. En sentant ses grandes mains noires caresser mes hanches, je retiens un geignement. J'ai l'impression d'être un lapin pris dans les serres meurtrières d'un aigle royal. Mon cœur se tord d'angoisse tandis qu'il remonte le long de mon buste. Si j'avais assez d'audace, je lui assènerais un bon coup de pied dans les couilles. Mais je ne suis pas assez courageuse pour prendre ce genre de risque qui me vaudrait un séjour à la cave, comme la fois où j'avais fait tomber la boite d'œufs, les cassant tous, et que j'ai dû aller en racheter pour préparer le dîner, alors que mon mari était absent. Max ne supporte pas que je sorte seule. Je crois qu'il craint que je ne le dénonce à la police ou que je m'enfuis. Il me fait surveiller, je le sais. Donc pour éviter une autre nuit dans la geôle (ou même pire), je me laisse toucher par Jason. Il renifle mon cou et gémit de désir. J'ai envie de vomir. Ses mains s'arrête sur mes seins ni trop gros ni trop petits et il les pétrit avec assez de force pour me faire grimacer de douleur avant que Max ne l'arrête en s'exclamant.

- Hey Jason, on ne commence jamais par le dessert, tu le sais.

Je sens Jason sourire contre mon épaule et il finit par s'éloigner de moi pour aller rejoindre ses amis, à mon plus grand soulagement.

- Je préchauffais seulement le four. Qui gagne ?

- Pas nous en tout cas, répond Julien.

Les yeux de Max se braquent alors sur moi et je m'empresse de baisser les miens, soumise.

- Lucie, les bières, ordonne-t-il. Je ne devrais pas te le dire. Et va te laver, tu pues la graisse et le détergent.

Merde. Tellement concentrée sur ma tâche de rendre la cuisine aussi brillante qu'avant que je ne prépare le repas, je n'ai pas pensé à leur apporter leurs bières. Une fois les mecs partis, je vais prendre une raclée. Je leur apporte vite leurs boissons sur un plateau en ignorant Jason qui vient de me claquer les fesses et retourne à la cuisine pour ranger le plateau etme dirige vers la salle de bains.

- Et met quelque chose de plus approprié, on dirait que j'héberge une clocharde que j'aurais ramassé entre deux poubelles puantes, me lance Max avec mépris tandis que ses amis se mettent à rire.

Honteuse, je hoche la tête pour lui faire comprendre que j'ai saisi puis m'en vais me doucher.

Dans le miroir, je ne peux m'empêcher de regarder mon corps nu couvert de bleus et de contusions diverses. Il m'a cassé une côte pour lui avoir dit que je n'avais pas eu le temps de repasser sa chemise préférée. Il m'a coupé avec un couteau au bras parce que je ne taillais pas assez vite les carottes. Une cicatrice s'étend horizontalement en large sur le bas de mon dos, aussi. Ce jour-là, il avait décidé de me prendre sur le canapé alors que j'étais malade. Je n'ai pas réussi à jouir alors il m'a balancé sur la table basse en verre.

Je ne compte même plus les fois où je suis allée à l'hôpital pour des « accidents ». Il aurait pu me tuer un tas de fois, après tout, je n'ai aucun pouvoir sur lui, je ne suis qu'un pantin qu'il s'amuse à manipuler comme bon lui semble, mais je crois qu'il préfère me battre. Ca l'excite. Il change d'hôpital aussi souvent que possible afin d'éviter que les médecins ne finissent par soupçonner les violences conjugales. Il m'ordonne de dire que je suis tombée où n'importe quel autre prétexte qu'il choisit et, craignant sa colère et rongée par la honte, j'obéis.

Il y a deux mois, il m'a poussée dans l'escalier, me cassant la jambe, et j'ai tout de même été obligée d'agir comme si j'étais valide. Chaque mouvement de mon pied gauche me faisait agoniser.

Je finis par entrer dans la douche. Mon moment préféré dans mes journées cauchemardesque, c'est celui-là. Il n'y a que dans cette cage de plexiglace que je me sens libre. En sécurité. Max n'aime pas baiser dans l'eau. Il dit que ça le perturbe plus que ça ne l'excite. Moi ça m'arrange plutôt bien. Au moins, je suis sûre d'être tranquille.

Je ferme les yeux tandis que l'eau ruisselle sur mon corps encore endoloris des derniers coups. Je me demande ce qu'aurait été ma vie si je n'était pas tombée amoureuse de Max et si je ne l'avais pas épousé. Que serait ma vie si je m'enfuyais loin de lui, à supposer que j'y parvienne ? Je sens les larmes couler sur mes joues.

Des larmes d'angoisse.

Des larmes de honte.

Des larmes de tristesse.

Des larmes de peur.


Juste une nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant