Make A Wish

La chute

Draper - Eyes Open

Le vent soufflait, glacial et puissant, menaçant de me faire tomber si je bougeais. Quand j'étais bien au chaud dans ma chambre, monter sur le toit de mon appartement avait tout d'une bonne idée. Maintenant que j'étais sur le toit de mon appartement, rentrer bien au chaud dans ma chambre était la meilleure chose à faire. Mais j'étais presque paralysée, les jambes dans le vide, les mains crispées sur le toit. Si quelqu'un avait levé la tête en passant, il aurait sûrement cru à un suicide. J'avais de la chance, à Paris les gens marchaient toujours la tête baissée. D'un autre côté, sauter dans un grand matelas tendu par des pompiers l'air inquiet devant une foule de curieux me semblait préférable à m'écraser dans la rue en tentant de faire demi-tour.
Je n'osais pas regarder en bas. De tête, environ dix mètres séparaient mes pieds du sol. Si il y a une chose que j'ai retenu en physique, c'est que les nuages que je regardais étaient à dix kilomètres de moi. Qu'est ce qui fait le plus peur, dix mètres ou dix kilomètres ? La réponse à cette question est moins conne que ça en à l'air, et c'est la gravité qui la fournira.

Tomber vers le ciel, ça s'appelle voler. Tomber vers la terre, ça s'appelle tomber.

Alors je suis resté assise, les doigts crispés, les pieds tombant dans le vide.
En fait ils n'étaient pas dans le vide, puisqu'il y avait un risque que je m'écrase. D'ailleurs, j'aurais préféré tomber dans le vide.

Tomber dans le vide, c'est ni voler, ni tomber. C'est juste être dans le vide.

"Le seul vide ici c'est ta tête"

J'ai entendu un bruit. J'ai sursauté. J'ai failli tomber.
Un oiseau s'était posé juste à côté de moi. Un pigeon. Un de ceux qui tombent vers le ciel. Du moins quand ils sont vivant. Mort, on tombe tous vers la terre. On monte pas au ciel, on tombe à terre. Oiseau ou pas.

"Rrrrrooouu"

Oiseau ou pas, tant que t'es pas humain t'as pas énormément de discussion.
C'est triste. Si il pouvait parler il aurait pu me sortir de là.

"Apprend moi à voler"

Même le pigeon m'a regardé avec pitié. Avant de s'envoler.
J'allais rester là longtemps.

Y'a tellement de façons de s'envoler. On peut avoir des ailes, un moteur d'avion, des hélices, un parapente ou être gonflé à l'hélium.
Y'a beaucoup moins de choix quand il s'agit de tomber. On peut juste s'écraser.

Nouveau coup de vent. J'entends une antenne trembler derrière moi. Je tremble. Tout semble trembler. Tout est gris et tremblant. J'ai froid et Paris a froid. En bas, les gens qui marchent tête baissée ont froid.
Mes mains sont violettes et je ne sens plus mon visage. Je veux fermer les yeux, mais j'en suis incapable. Si je les ferme, je tombe.
J'inspire un grand coup. L'air glacial me brûle les poumons. J'expire. Une volute de fumée sors de ma bouche. Comme un dragon. Comme un dragon qui vole. Il n'y a donc que moi qui ne puisse pas voler ?

Nouvelle rafale. Je tangue. Mon regard se porte vers un arbre au loin. Ses feuilles sont tombées. Elles dansent à son pieds, avant d'être emportés par le vent. Avant de voler. Les feuilles peuvent voler, et pas moi ?

Encore une bourrasque. Je craque. Je ferme les yeux.
Les feuilles ne se posent pas de questions. Je ne me pose pas de questions. Les feuilles laissent le vent les attacher à leur arbre. Je laisse le vent m'arracher à mon immeuble. Les feuilles se laissent emporter sans résister. Je me laisse emporter sans résister.
Je me délaisse de toutes ces choses qui sont propres aux hommes.
Les feuilles, les oiseaux, les dragons volent. Je tombe. Je tombe vers le ciel. Je vole. J'ai quitté le toit. Je suis détendu. Je n'ai plus froid. Je suis en chute libre vers les nuages.

Un bruit étrange et agaçant me perturbe. Je tombe encore, vers la terre cette fois. Je redeviens humaine. Je panique. Je tombe. J'ouvre les yeux. Je regarde mon réveil. Je soupire.