chapitre deuxième

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J'entrai dans ma chambre telle une tornade et claquai la porte furieusement. Je m'étais disputée avec ma mère, encore. Manque de joie, comme toujours. Mais je ne me prenais jamais la tête à cause de cela. Il y avait autre chose, quelque chose qui me faisait bouillonner. Mais je n'étais pas certaine contre qui ma colère était réellement dirigée. Ma mère? Mon père? Moi-même? La vie? Ou elle...

Au fond, c'était peut-être le fait de ne pas savoir qui me mettait en rogne. Ou bien le savais-je et je niais cette connaissance parce qu'elle me faisait peur. Et je remplaçais cette angoisse par de la colère parce que c'était plus facile. Que de questions philosophiques auxquelles je n'avais aucune envie de penser.

Pour échapper à ma tête, j'attrapai mon casque puis me l'enfonçai sur le crâne. Baladeur en main, j'appuyai sur bouton «marche» et m'étendis dans mon lit. Je m'oubliai complètement et me laissai porter au rythme des mots et des mélodies. Je ne faisais même pas attention aux propos. Le fait d' entendre quelqu'un dans ma tête qui me faisait croire que je n'étais pas totalement seule me réconfortait. Ce qu'il disait n'avait aucune importance.

Je dus m'endormir puisque soudainement mon réveil indiquait six heures trente et mon père était au dessus de moi. Il tempêtait sur mon manque de responsabilité, de jugement et tout un tas de trucs.

-Vraiment? Un soir de semaine? Et tes devoirs? Et tu n'as pas pensé aux effets néfastes sur ton sommeil?

Ses récriminations étaient pourtant vaines. S'il était difficile de me faire entendre raison normalement, il en était impossible le matin au réveil. J'aurais cru que l'homme qui m'avait vue grandir le saurait. Apparemment, personne en cette Terre n'arrivait vraiment à me connaître.

-Dis-moi Victoire, c'est quand la dernière fois que tu es allée voir ton psy?

-Hum?

-Ton psy? Ça fait combien de temps?

Parmi tous les humains que je n'aimais pas, le docteur Albert était sans doute l'un de ceux que je détestais le plus. Même s'il était sensé m'aider à me sentir mieux, tout ce que je ressentais en sa présence était de l'angoisse. D'une part parce que je le soupçonnais de ne vouloir qu'encaisser ses chèques, et d'une autre parce que je haïssais quand quelqu'un tentait de s'infiltrer dans mon esprit pour y dénicher des secrets. Moi-même je n'osais pas m'y aventurer. Il était donc clair que j'avais manqué tous mes derniers rendez-vous.

-Hum. Je sais pas.

-Oh allez Victoire...

Je n'avais tout simplement aucune envie d'avoir cette discussion, surtout pas avec mon père et surtout pas à une heure aussi précoce. Je me retournai donc et enfoui ma tête sous les couvertures. J'attendis qu'il quitte la chambre, renonçant une fois de plus à se rapprocher de moi, pour sortir de là. Je me préparai rapidement et partis sans bruit.

Une nouvelle journée banale commençait dans cet établissement banal. Une suite de cours banals enseignés par des professeurs banals. Des travaux banals exécutés par des adolescents banals. Tout était si normal que c'en était lourd, écrasant même. Trop peu d'action pouvait être aussi épuisant que trop d'action. Et je sentais que si ça continuait, j'allais finir par imploser sous le poids du néant. Comme le Big Bang.

Les heures, les minutes, les secondes s'égrenaient presque aussi lentement que si elles avaient voulu s'arrêter complètement. Chaque geste, chaque parole, chaque idée prenait des millénaires avant de s'accomplir. J'avais beau forcer, élancer mes jambes, tous ces efforts étaient en vain. Le temps se jouait de moi.

Et c'était si terne et si lent, que ma tête s'y mit aussi. Quel jour étions-nous? Impossible de m'en souvenir. Était-ce l'été, l'hiver, l'automne ou le printemps? Bonne question. Jour, nuit? Hum. Où étais-je déjà? Jolie, cette couleur! Qu'est-ce que je faisais là? Mes souliers était délassés. Qui étaient ces gens? Oh, il faisait beau dehors! Pourquoi le monde tournait-il?

Une douleur lancinante s'empara de mon dos quand il toucha la sol, puis de ma tête quand elle vint l'y rejoindre. Des étoiles dansaient devant mes yeux clignotants. Des murs.Très près de moi. Partout, de tous côtés. Ils allaient me tomber dessus. Non, pas des murs. Des étagères. Pleines de livres. Bibliothèque. J'étais dans la bibliothèque. De l'école. J'étais étendue dans la bibliothèque de l'école. Qu'est-ce que je faisais là?

Prise de lucidité accrue, je me relevai d'un coup. Ma tête émis un son strident et douloureux qui sembla me ronger le crâne. Mon cerveau s'auto-détruisait. Du moins, je le croyais. Mais cela passa, et je me redressai lentement. Le monde autour de moi tanguait doucement sur les vagues de ma conscience bousculée. Je regardai autour de moi et remarquai un vieux sofa où je m'affalai immédiatement. Confortablement installée, je me laissai aller à quelques instants de repos. Puis, je réfléchi. Comment avais-je pu me retrouver là? Je ne m'en souvenais pas. Quelle était la dernière chose dont je me souvenais dans ce cas?

Je marchais. Je marchais dans le corridor. Je marchais dans le corridor vers mon dernier cours de la journée. D'accord, mais pourquoi n'y étais-je pas allé? À partir de là, tout n'était que confusion. Les couleurs et les idées ne faisaient qu'un. Les formes et le jugement se mélangeaient. Souvenirs et sons, ensembles. Et tout ce beau monde-là dans un fouillis détaché mais collectif. Peut-être étais-je partie sur une autre planète un cours instant. Des extra-terrestres s'étaient emparés de moi et m'avaient redéposée ici. Ils en avaient rapidement eu marre. Rien d'étonnant. J'aurais fais pareil.

Où alors, c'était des scientifiques fous. Ils m'avaient enlevée pour tester leur produits. Ils m'avaient fait un lavage de cerveau. Peut-être que tous mes souvenirs n'étaient que pure invention. Je ne m'appelais donc peut-être pas Victoire... Qui me disait que j'étais bien dans une école. Personne.

C'était ridicule. Pathétique. Je savais exactement ce qui s'était passé. Je ne voulais simplement pas l'avouer. C'était comme ouvrir une boîte de Pandore. Une brèche et le déluge arrivait, engloutissant tout sur son passage. Mieux valait oublier, effacer de son esprit, quitte à devoir le faire plusieurs fois. Oui voilà. Oublier.

Cette technique me facilitait d'autant plus la tâche puisque je n'avais pas l'impression de mentir à mes parents le soir. Je ne me souvenais pas. Ce n'était donc pas moi qui mentait, mais bien le souvenir lui-même. Tant qu'on ne grattait pas, il n'y avait pas de problèmes. Sauf que les gens aimaient bien gratter.

-Je n'ai rien à faire, je t'emmène à ton rendez-vous ce soir, fut la première chose que ma mère me dit quand je rentrai à la maison ce jour-là.

-Quel rendez-vous? demandai-je nonchalamment.

Ma mère rit un peu, de cette sorte de rire mi-amusé, mi-exaspéré.

-Très drôle Victoire, bien essayé.

Je ne suivais pas. Qu'y avait-il de drôle? Je ne voyais vraiment pas des quel rendez-vous elle parlait. J'avais l'impression de ne pas connaître un secret que j'aurais pourtant dû connaître.

-Mais de quoi tu parles?

-Oh ça suffit là, répliqua ma chère mère, ne riant plus du tout. Nous allons voir le docteur Albert et tu le sais très bien. Maintenant va te préparer.

Le sang se figea dans mes veines. Oh non. Oh non. Il n'en était pas question.

La descente aux EnfersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant