chapitre troisième

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Du coin de l'œil, je voyais défiler les couleurs sombres du soir. C'était la grande ville, vespérale et mélancolique, sous un voile de brume. Cependant, rien de concret ne s'affichait sur ma rétine. Si le monde autour de moi était tangible, mon esprit, lui, en faisait fi et s'élevait dans les niveaux supérieurs de la conscience.

Une fillette courant dans un champs de fleurs sauvages, sa robe d'un blanc immaculé contrastant avec les mille et une couleurs; un ciel d'un bleu si pur qu'il se confondait avec l'océan; une brise douce et tendre, traversant des cheveux de jais. Que d'images apaisantes, idéalistes, oubliées. Tout pour ne pas penser, ne pas laisser de traces dans ce monde physique et futile, quoi que ce soit qu'un certain psychologue aurait aimé se mettre sous la dent. Je ne comptais pas me laisser amadouer, grattouiller dans tous les recoins pour trouver quelque chose d'intéressant.

Dans un mouvement brusque, l'automobile s'arrêta. Devant, se dressait la lugubre clinique du docteur Albert. Les néons à l'allure maladive clignotaient imperceptiblement. Aucun souffle ne venait chatouiller les débris laissés sur le trottoir. La rue se faisait déserte, un voiture aux dix minutes maximum était le seul signe de vie visible. Je restai assise, immobile, tandis que ma mère détachait sa ceinture et ouvrait la portière. Je décelai ses mouvements du coin sans pour autant y porter attention. Je la sentais plus que d'autres choses. Je savais qu'elle faisait le tour de l'engin pour se placer devant ma propre portière, je savais qu'elle tendait le bras pour l'ouvrir, je savais qu'elle le faisait. La brise nocturne s'engouffrait dans l'habitacle et en moi. Surtout en moi. Mon âme se noircissait et se refroidissait à vue d'œil. Je me laissai traîner comme une coquille vide jusqu'à la porte.

Cling.

Ce son me donnait la chair de poule. J'avais l'impression d'entrer dans une sorte de boutique glauque. N'importe quand, un monstre pourrait me sauter dessus et m'avaler tout rond.

-Ah! Victoire, je commençais à me demander si je te reverrais un jour. Bonjour Florence, comment allez-vous?

Qu'est-ce que je disais. Un monstre. Plus que prêt à me dévorer.

-Oh très bien merci!

-Est-ce que vous venez avec nous ce soir?

Je repris conscience de l'environnement autour de moi. Mon cœur s'arrêta, mes yeux s'affolèrent. C'était déjà assez pénible d'avoir à supporter une séance avec le docteur Albert, il était hors de question de devoir supporter ma mère en plus.

-Oh non, je vais attendre à côté, répondit-elle.

Je respirais à nouveau. Pour une fois, j'appréciais ma mère. Vraiment. Avait-elle compris que je ne voulais pas la voir là ou préférais-t-elle simplement lire la nouvelle édition de son magasine favoris qu'elle venait d'apercevoir sur la table de la salle d'attente? Honnêtement, je m'en fichais, le résultat était le même et c'était tout ce qui comptait.

-D'accord. Dans ce cas, Victoire, tu peux me suivre.

Nous passâmes au travers de l'entrée décorée dans un style qui me faisait beaucoup trop penser à ce qu'on peut voir dans les magasines justement. Un bureau blanc immaculé à droite, décoré d'une plante verte et surmonté d'une photographie probablement achetée chez Ikea et une salle d'attente à gauche. Celle-ci ressemblait à toutes les salles d'attentes : petite chaises à l'allure chic, mais à au confort déficient; diplômes qui sont sensés nous faire croire que nous sommes entre bonnes mains; quelques tableaux et photos libres de droits et d'originalité surtout; petite table en verre recouverte de magasines de toutes sortes.  Cela n'avait rien à voir avec le bureau du psy dans lequel nous pénétrions. Surchargé, foncé, des fauteuils et des coussins partout, des livres, lumière tamisée. Normalement, ç'aurait été le type de décor qui me plaisait, mais tout me semblait faux. Chaque objet avait un but - me faire à croire que j'étais en sécurité, confortable, qui m'empêchait de trouver le tout réellement beau. Je m'assis donc raide comme un piquet dans le premier sofa que je vis et m'enfermai dans mon château fort mental.

Question par dessus question, mon esprit ne cédait pas. À la fois ancrée, solide, emmurée, mais aussi légère comme un pétale de fleur perdu, sans attache, sans fond, rien à cacher car rien à montrer de plus que ce qui est là. Insaisissable. Je sentais que le si brillant docteur Albert était ennuyé. Une patiente récalcitrante, qu'y a-t-il de plus agaçant? Ne pas pouvoir étaler ses connaissances et expliquer le pourquoi du comment de tel sentiment, c'est le comble pour un docteur diplômé de mille et une universités.

-Pourquoi ne voulais-tu pas que ta mère se joigne à nous?

Je suis un peu prise par surprise. Cette question sort de nulle part, je ne me souviens pas avoir ouvert la bouche avant qu'il ne me pose sa première question. D'où tient-il cette information?

-Pardon?

-Oh, je me suis peut-être trompé, seulement, j'ai cru voir que tu t'affolais quand j'ai proposé à ta mère d'assister à la séance, explique d'un ton nonchalant qui a le don de me faire grincer des dents. Il sait parfaitement qu'il a raison, mais le fait sonner comme une simple hypothèse en attendant que je confirme son intelligence supérieure.

-Eh bien.

-Qu'est-ce que ça te ferait si ta mère était ici?

Habituellement, j'arrive à m'en sortir en répondant avec des formules toutes faites, ce que la plupart aiment entendre quand ils posent des questions. «Ça va? Oui et toi?» Mais que répondre à cela? Je hoche les épaules en espérant qu'il s'en contentera, que l'heure tirera à sa fin, quelque chose.

-Comment penses-tu qu'elle serait?

-Assise.

Il laisse aller un rire qui se veut sympathique, mais que je sais forcé et ennuyé.

-Très drôle, Victoire. Comment agirait-elle?

Je suis prise au piège. Je pourrais me taire, mais je ne le fais pas. Pourquoi? Je n'en ai aucune idée. Je n'ai pas peur de me faire harceler de questions pendant de longues minutes sans prononcer un son. C'est déjà arrivé. Souvent. Pourquoi pas cette fois?

-Elle me forcerait à répondre et me pousserait à être coopérative.

Idiote.

-Parce que tu ne l'es pas? Tu ne coopère pas?

Je hoche à nouveau les épaules et détourne le regard.

-Est-ce qu'il y a des choses que tu ne me dis pas? Que tu caches?

-Non.

-Alors c'est à toi-même que tu les caches?

Soudainement, le souvenir de ce qui s'est passé dans la bibliothèque ressurgit dans ma tête. Je ferme les yeux pour le chasser, mais je ne vois la scène que plus clairement derrière mes paupières. Ce n'est qu'un mauvais rêve, ce n'est pas arrivé pour vrai, vas-t-'en. Tu n'es pas le bienvenu. Disparais.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 02, 2019 ⏰

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La descente aux EnfersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant